Simultanément, réapparaît aussi bien à gauche qu'à droite le thème de l'Europe centrale, auquel se vouent gauchistes, sociaux-démocrates, anthroposophes, néonationalistes...

Pendant longtemps et jusque vers 1980, cette agitation a surtout été le fait des intellectuels de gauche et de l'extrême droite. Pour la masse de la population, le problème ne se posait pas ainsi : seuls 32 p. 100 des Allemands pensaient à l'Est quand on leur demandait de définir la nation allemande. Pour une bonne partie des Allemands, la RDA, c'était l'étranger. Peu à peu, ces dernières années, ces comportements se sont modifiés : 53 p. 100 des Allemands de l'Ouest souhaitent aujourd'hui une Allemagne neutre, libre et réunifiée. Ils estiment que l'on peut résoudre la question allemande par un retrait simultané de la RDA et de la RFA des forces militaires des blocs antagonistes, ce qui permettrait à lointaine échéance la création d'une confédération panallemande qui aurait pour vocation de mettre en place une troisième voie entre capitalisme occidental et socialisme totalitaire.

C'est dans ce sens que vont certaines déclarations communes du SPD ouest-allemand et du SED est-allemand sur la création en Europe centrale d'une zone sans armes chimiques ou pour une réflexion idéologique commune. Incontestablement, gauchistes, écologistes et une forte minorité de sociaux-démocrates, derrière Willy Brandt, Egon Bahr, Erhard Eppler et Oskar Lafontaine, jouent la carte du national-neutralisme. C'est ce qu'ont montré en août 1986 les résolutions adoptées par le congrès du SPD, qui rompent clairement avec les principes de Bad Godesberg, préconisent la dénucléarisation de l'Allemagne, le démantèlement des nouveaux missiles américains et refusent l'augmentation de la durée du service militaire prévue pour pallier le déficit démographique dramatique que connaît aujourd'hui la RFA.

Voilà peut-être un programme conçu pour plaire aux Verts comme à la RDA, mais qui conduirait, s'il l'emportait, à une remise en cause de fait des engagements européens de la RFA et ouvrirait un processus de neutralisation qui très vite toucherait l'Europe tout entière. Sans doute Johannes Rau ou Hans Apel ne cessent-ils de dire qu'ils se refuseront à collaborer avec les Verts. Mais quelle portée peut-on accorder à ce genre de promesse ? Ce qui s'est passé en Hesse en 1985-86 est à cet égard très significatif. Pendant des années, le SPD n'avait cessé de dire que jamais il ne collaborerait avec les Verts ; mais, il y a quelques mois, pour consolider sa majorité, on a appelé un Vert au gouvernement de Wiesbaden. Cela, il est vrai, a contribué à sa défaite en mars 1987. Mais surtout, il ne faut pas négliger l'emprise des Brandt, Bahr, Eppler, Glotz, Lafontaine sur un SPD dont nombre de militants aujourd'hui sont d'anciens gauchistes plus ou moins repentis. N'oublions pas les conceptions militaires très national-neutralistes de Bahr, fort proches de celles des Verts, défendues par le rapport Bülow, largement repris par le congrès de Nuremberg d'août 1986, inspiré par le livre d'un ancien officier proche des Verts, Horst Afheldt, Defensive Verteidigung (défense défensive). Si l'on en croit son secrétaire général Peter Glotz, le but du SPD n'est-il pas d'instaurer une nouvelle Partnerschaft (collaboration) entre les Europes de l'Est et de l'Ouest ? De surcroît, quand on lit les textes préparés par les militants du SPD, on constate que la base du SPD n'est pas très éloignée des vues des Verts : elle est obsédée par la nécessité de rapprocher l'Est de l'Ouest. Du reste, les dirigeants du SPD sont convaincus que leurs préoccupations sont partagées à l'Est et qu'il faut prendre au sérieux la volonté de négociation des Soviétiques.

L'Europe et les relations interallemandes

Naturellement, CDU/CSU ou FDP demeurent, eux, profondément européens. Or, l'affaire du désarmement a bien montré combien étaient grandes les divergences entre les deux partis de la coalition. Si, pendant de longs mois, les Allemands ont refusé de prendre parti sur une approche politico-stratégique face à l'option double zéro, c'est que Bonn est divisé. Incontestablement, les dirigeants de la CDU/CSU (et surtout celle-ci) avancent d'excellentes raisons de se montrer très inquiets devant les propositions américaines, dans la mesure où leurs craintes devant la menace soviétique demeurent très vives. Au contraire, le FDP, que dirige le ministre des Affaires étrangères, Dietrich Genscher, a tout de suite été favorable au démantèlement des armes nucléaires, demandé conjointement par les Soviétiques et les Américains ; comme ses amis, D. Genscher y voyait une chance pour une certaine « neutralisation » de l'Europe et des possibilités de rapprochement entre les deux États allemands.