Le mécénat permet précisément de contourner la difficulté parce qu'en lui-même, il est une preuve de citoyenneté. Comme l'écrit pertinemment Sylvère Piquet, l'auteur de Sponsoring et Mécénat, la communication par l'événement, « la participation à l'événement culturel est en soi la preuve de l'insertion sociale de la firme dans son environnement ». Point n'est besoin d'en rajouter. C'est au fond de l'autonomie même de cette « valeur » (qu'elle soit culturelle, sportive, médicale, etc.), à laquelle l'entreprise décide d'associer son nom, que l'action de mécénat tire son efficacité, son « bénéfice ». C'est pourquoi, avant de modifier le rapport de l'économie avec la culture et la société, l'action de mécénat bouleverse la place de l'entreprise moderne au sein de celle-ci, à qui elle offre enfin un brevet d'insertion, un authentique « droit de cité ».

Alain-Dominique Perrin, président de Cartier et de la Fondation du même nom, le disait très clairement dans le volumineux rapport qu'il avait remis en 1986 au ministre de la Culture : « l'entreprise veut s'intégrer à son environnement pour assurer la légitimité indispensable à son essor. (...) Nous sommes socialement responsables en favorisant la diffusion des chefs-d'œuvre artistiques dans le public. Nous sommes des animateurs culturels et pas seulement des agents économiques. »

Dans cette perspective, il est significatif de remarquer que ce sont les entreprises ayant quelque chose « à se faire pardonner » qui aient les premières joué la carte du mécénat : les fabricants de cigarettes et d'alcool, à qui la publicité sur les médias de grande diffusion est souvent refusée, les multinationales américaines, soupçonnées d'impérialisme rampant, puis les compagnies pétrolières, à la fortune trop insolente, les banques et les compagnies d'assurances, dans une position analogue. Les enquêtes sur les motivations du mécénat placent en tête des réponses l'amélioration de l'image générale de l'entreprise, la mise en œuvre d'une « responsabilité naturelle » de celle-ci et le désir de rassembler ses membres autour de valeurs communes. L'objectif semble globalement atteint, notamment sur ce dernier point, si l'on se réfère à un surprenant sondage, selon lequel 71 p. 100 des ouvriers seraient favorables à une action de leur entreprise en faveur de la création. Mais faut-il s'étonner du fait que ceux qui composent cette collectivité qu'est l'entreprise soient très sensibles à la place retrouvée de celle-ci au cœur de la cité ?

Mécénat ou sponsoring ?

De cette citoyenneté neuve découlent les principaux traits du mécénat moderne. Plutôt que dépense somptuaire, dont on voit mal désormais la finalité dans une société où règne l'idéal démocratique, le mécénat moderne est participation, action de communication sous la forme d'une rencontre mutuelle entre des partenaires égaux et autonomes. Dans cette optique, il conviendrait sans doute, à la suite de Jean-Jacques Rosé dans l'Or pour l'art, de relativiser une séparation trop absolue entre un mécénat « cultivé » et désintéressé et un sponsoring publicitaire, utilitaire et monétaire. La très belle étymologie du mot sponsor, bien peu anglo-saxon, malgré les apparences, nous y invite. Resurgi dans les années 70 aux États-Unis, sous la forme sponsorship, avec le sens de « bailleur de fonds », le terme est en fait issu d'une vieille souche grecque et latine. Serment grec scellé en levant le coude, spondé signifiait « libation ». Passé en Italie, il a pris les formes sponsio, « engagement verbal pour une caution », sponsor, « garant », tandis que, parallèlement, dans les amours romaines, les sponsi (de spondere, « promettre ») étaient les fiancés, lesquels devinrent en français nos espoux et espouse...

En ce sens, toute la nouvelle pratique du mécénat, mariage sous contrat de deux partenaires, l'un bailleur de fonds, l'autre opérateur culturel, afin de communiquer, c'est-à-dire offrir à d'autres une manifestation « remarquable », pourrait se placer dans son ensemble sous la bannière du mot sponsor. Mais l'usage courant a préféré réserver le franglais sponsoring (certain suggèrent sponsorat) aux événements sportifs d'une large audience, l'action du mécénat penchant plutôt vers la culture, les arts, la recherche scientifique ou les aides humanitaires, et visant surtout des publics concernés et restreints. Dans cette perspective, certaines entreprises, telles le groupe GMF-FNAC, ou la Caisse des dépôts et consignations, n'attendent « aucune retombée immédiate du mécénat, qui n'est pas un substitut de la publicité », comme l'explique Pierre Le Baillif, chargé du mécénat et de l'action culturelle au sein de celle-ci et dans le même temps directeur de la Société du Théâtre des Champs-Élysées, entièrement rénové après un an et demi de travaux qui ont coûté à la Caisse des dépôts, en partie propriétaire, plus de 100 millions de francs. Il peut ainsi dire : « en ce sens, nous sommes de véritables mécènes ».