Prenant en 1979 la tête de l'association Admical sur la suggestion de trois jeunes professionnels de la communication, Patrick d'Humières, Pierre-Antoine Huré et Axel Leblois, Jacques Rigaud, président de Radio-Télé-Luxembourg et de l'établissement public du musée d'Orsay, allait d'abord se faire l'inlassable propagandiste de l'idée de mécénat, suscitant dès juin 1980 les premières Assises annuelles du mécénat, publiant une lettre d'information trimestrielle, décernant régulièrement des Oscars, donnant ainsi ses lettres de noblesse à une activité encore très floue. L'État embrayait le pas, mais à deux vitesses. Devant un parterre d'intellectuels, le colloque international de la Sorbonne, en février 1983, célébrait les retrouvailles symboliques de la culture et de l'économie, une réconciliation encouragée très médiatiquement, courant 1985, par la brochure Mécénat, mode d'emploi, tirée à 300 000 exemplaires et un premier aménagement du cadre juridique et fiscal du mécénat.

Libéralisme oblige, la loi du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat, élaborée par le ministre de l'Économie et des Finances en personne, Édouard Balladur, représente en fait une remarquable victoire de l'État français sur... lui-même. Les incitations fiscales – lire les abattements d'impôts consentis par le trésor public –, sensiblement élargies, couvrent en outre un champ d'activité beaucoup plus large que la seule culture, puisqu'elles englobent « les dons effectués au profit d'œuvres ou d'organismes d'intérêt général, de caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la défense du patrimoine artistique ou de l'environnement naturel ». Dans ce cadre, les dons des entreprises deviennent globablement déductibles à hauteur de 2 p. 1 000 du chiffre d'affaires et à 3 pour les associations reconnues d'utilité publique et les établissements d'enseignement artistique agréés. Avec une innovation : l'amortissement sur dix ans des œuvres d'art acquises par une société, à condition qu'elles soient exposées au public, puis cédées à l'État, une façon originale d'« enrichir le patrimoine artistique national » (François Léotard). Les particuliers ne sont pas oubliés, et se voient accorder des « crédits d'impôts », d'un montant annuel progressif.

Mais l'essentiel de la loi est ailleurs. Dans le rapprochement et la simplification des statuts des fondations et associations afin de stimuler l'initiative privée au sens large. Ainsi, de simples associations pourront désormais recevoir, sans agrément particulier, des dons, voire bénéficier du régime fiscal d'une fondation en ouvrant un compte chez l'une d'elles. Enfin, la reconnaissance d'utilité publique interviendra non plus a priori mais a posteriori. Au total, le désengagement de l'État est sensible : aux côtés de la culture et de la création, il s'agit d'amorcer un redressement du financement privé en faveur d'autres domaines, recherche ou santé. Quoique la tradition colbertiste ne perde pas tout à fait ses droits : la mise en place, le 25 mars 1987, d'un Conseil supérieur du mécénat, présidé par Michel-David Weill, installe un garde-fou en matière d'accords de partenariat État-entreprises-organismes culturels. S'inspirant du modèle incitatif américain, le Conseil, assisté de quatre commissions, n'accordera de subventions que si ces derniers ont déjà pu trouver ailleurs une part de mécénat. Une clause qui ne satisfait ni les partisans d'un désengagement total de la puissance publique, ni ceux qu'effraie la perspective de voir systématiquement l'entreprise privée à l'origine d'un projet culturel.

Cette longue prégnance étatiste explique le contraste entre la vogue du mot mécénat, porté par la mode libérale et l'air du temps, abondamment traité par les médias et sa réalité économique, encore fort modeste. Les chiffres en témoignent : près de 400 entreprises aident d'une façon ou d'une autre la création, soit moins de 1 p. 100 de l'effectif total des entreprises françaises. Peu répandu, le mécénat culturel est aussi très concentré : à peine trente entreprises y consacrent plus de un million de francs par an, une demi-douzaine seulement dépassant les cinq millions, vite énumérées : Cartier (avec la Fondation Cartier pour l'art contemporain), le groupe FNAC-GMF, IBM, Total (Fondation Total pour la musique), le Crédit agricole (Fondation des pays de France)... Les sommes consacrées au mécénat sont certes en essor constant : environ 120 millions de francs en 1983-84, 300 en 1986, plus de 400 aujourd'hui, ce qui est presque négligeable au regard de celles injectées annuellement par l'État dans la culture : plus de 16 milliards de francs en 1986 ! Rien de comparable avec ce qui se passe par exemple outre-Atlantique, où 85 p. 100 de la production artistique et culturelle provient de sources de financement privées. Aux États-Unis, le mécénat est une responsabilité quasi civique, une habitude ancrée dans des esprits imprégnés du devoir de philanthropie. Celle-ci se tourne d'ailleurs prioritairement vers les œuvres religieuses, la recherche scientifique ou l'éducation, la culture ne touchant que 6 p. 100 du total. On se gardera donc de surestimer la renaissance et l'avenir durable du mécénat dans notre pays, au tissu industriel composé de sociétés de taille et d'assise financière moyennes et à qui fait défaut une solide tradition de générosité privée.

L'entreprise citoyenne

Parler de mécénat aujourd'hui, c'est, on vient de le voir, parler essentiellement de mécénat d'entreprise. Si révolution il y a, elle réside surtout dans un renversement des valeurs au centre duquel se trouve l'entreprise privée. Le libéralisme originel, formulé par Adam Smith, ne connaissait pour celles-ci que la « main invisible » du marché économique. Graduellement, pourtant, l'essor des grandes firmes allait poser la question d'un pouvoir qui ne pouvait plus se contenter de camper économiquement au cœur de la société. À ce problème de légitimité, les grandes entreprises, américaines en premier lieu, vont répondre, au tournant du xxe siècle, par une politique active de philanthropie, complétée d'une nouvelle forme de publicité, dite publicité institutionnelle. Pourtant, si sophistiquée soit-elle, cette dernière échoue quand même à convaincre le public de la légitimité de la grande société.