Le renouveau du mécénat

Hier excentrique et démodé, le mécénat apparaît aujourd'hui comme l'un des thèmes privilégiés des années 80, réconciliant culture et initiative privée, création et entreprise.

Le Crédit Lyonnais restaure la salle Pleyel, Cartier crée une Fondation, IBM se fait l'argentier d'expositions prestigieuses telles que Bonnard, Renoir et les impressionnistes, la peinture espagnole, du Greco à Picasso, la BNP parraine Turandot de Puccini à Bercy, le CIC, avec spectacle de rayons laser à la clé, participe à la restauration des huit statues monumentales de la place de la Concorde, le sauvetage de l'Arc de triomphe va faire appel à la générosité de grandes entreprises et de particuliers... En deux ou trois années, ce type d'information nous est devenu familier, a cessé de nous étonner. Il dissimule pourtant ce qui, toutes proportions gardées, apparaît, à bien des égards, comme une véritable « révolution culturelle » : la rencontre de deux réalités hier étrangères, sinon ennemies, la culture et les affaires. Une invention des années 80, dont notre pays, féru de culture d'État, s'est, toutes colorations politiques confondues, entiché, à coups d'initiatives, de colloques, de prix et, désormais, d'une loi sur le mécénat. Intitulée à l'origine Initiative et liberté, elle a été promulguée le 23 juillet 1987, afin de « concilier l'intérêt général et l'initiative privée ». Qui aurait pu croire, il y a cinq ans à peine, qu'une des issues de la crise serait le mariage de la création et de l'argent privé ?

Une vieille idée toute neuve

Un regard en arrière sur la notion de mécénat, courante au cours des siècles, montre plutôt que, loin de se réduire à un amour éthéré des formes esthétiques, l'action du mécène, jamais gratuite, repose toujours sur une forte dimension sociale. Le mot provient de Caius Cilnius Maecenas, conseiller d'Auguste et « sponsor », si on ose l'écrire, de Virgile et d'Horace, à qui il ouvrit les portes de son palais romain. Mais le mécénat existait avant Mécène et disposait, dans le monde antique, d'un rayonnement bien plus large que le simple encouragement des arts et des lettres. Mécénat d'État – en Égypte pharaonique ou dans la Rome impériale – ou privé – chez les notables des villes grecques et hellénistiques –, il était une véritable obligation morale, à laquelle il était quasiment impossible de se soustraire. En finançant temples, édifices publics ou religieux, en offrant de nombreuses libéralités, y compris les fameux jeux du cirque, les « évergètes », comme il convient de les qualifier, contribuaient tout autant au bien-être de la collectivité qu'à leur propre renommée...

Décrite par Aristote, l'évergésie signifie la « bienfaisance », c'est-à-dire la noble action de faire le bien, donnant ainsi à apprécier l'excellence d'une position sociale. « Le pauvre qui essaie d'être magnifique est un sot », raillait d'ailleurs le philosophe dans son Éthique à Nicomaque. Jouant le rôle de façades prestigieuses, l'évergétisme ou le mécénat soulignent les responsabilités comme la distance du pouvoir. C'est avec cette double connotation que le second terme traversera les siècles, des grandes familles italiennes de la Renaissance, tels les Médicis, aux favoris des monarchies absolutistes, un Mazarin ou un Fouquet, et aux fortunés « amoureux des arts » des xixe et xxe siècles, les Rothschild ou les Noailles. Sans surprise, avec la naissance d'un art contestataire – « Je hais les mécènes », dira Courbet – et l'essor de l'État moderne, garant de l'intérêt général, notamment en matière de patrimoine artistique ou architectural, le « grand mécénat » va décliner jusqu'à apparaître comme un caprice excentrique, celui de milliardaires américains tels Paul Getty.

Pour que la vieille pratique du don ostentatoire renaisse, il fallait une remise en cause des rapports public/privé. De l'éclipsé de l'État-providence à la vogue de l'entreprise et de l'initiative privée, les années 80 vont être propices à la vigoureuse renaissance d'un geste d'antan devenu presque anachronique. Comme l'analyse l'historien Paul Veyne dans le Pain et le Cirque : « L'évergétisme implique donc que les décisions relatives à certains biens collectifs, dont des mécènes font la dépense, échappent à la souveraineté de l'État et sont prises par les mécènes eux-mêmes. »

La longue marche du mécénat privé

Retrait de l'État d'abord. En France, celui-ci sera long à se dessiner. En 1965, André Malraux, ministre d'État et ministre de la Culture, écrivait : « Je me préoccupe de provoquer en France un véritable mécénat culturel à l'exemple de ce qui existe à l'étranger, notamment aux États-Unis. » Cela déboucha sur le « rapport Pomey », du nom d'un conseiller d'État qui sut défricher le maquis juridique existant, avec pourtant une conséquence paradoxale. La puissance publique, bien que désireuse de favoriser l'essor du mécénat privé, restait méfiante à l'égard de l'initiative des particuliers et allait enfermer celle-ci dans une tutelle contraignante, via d'obligatoires fondations d'« utilité publique », agréées après de longs contrôles administratifs. Créée en 1969, la Fondation de France symbolisait cette démarche contradictoire. Les choses mirent du temps à évoluer au cours des années 1970. Il fallut attendre Jean-Philippe Lecat, ministre de la Culture et de la Communication de 1978 à 1981, pour voir l'État prendre à nouveau ouvertement position en faveur du mécénat, en éditant notamment la brochure le Mécénat en France (1980). L'accueil fut d'abord négatif. Mais le climat allait totalement changer avec les années 80.