Catherine Michaud

Cinéma

Pour le cinéma français, l'année 1987 a été marquée du sceau d'une douloureuse récession. À la fin du premier semestre, on enregistrait une chute de 20 p. 100 du nombre de spectateurs par rapport à la même période de l'année passée (66,5 millions contre 83,5 millions), ce qui devrait porter à moins de 140 millions les entrées-salles. De tous les membres de la profession, les exploitants sont les plus atteints : 140 cinémas ont été fermés durant le premier semestre, non seulement ceux programmant des œuvres difficiles, mais aussi des lieux commerciaux. Les plus pessimistes parmi les professionnels pensent que notre parc de salles, qui s'élevait à 5 100 unités en septembre 1987, pourrait se réduire à 3 500 à la fin de l'année 1988. À tel point, cet automne, que les syndicats d'exploitants ont poussé leurs adhérents à manifester dans la rue, demandant la démission de François Léotard, ministre de la Culture. Leurs revendications sont claires : limiter les abus de la concurrence du petit écran, qui, avec ses six chaînes, passe un nombre phénoménal d'œuvres du 7e Art, payer moins de taxes (TVA, taxe professionnelle, TSA, taxe propre au cinéma dont ils sont en partie bénéficiaires) et louer les films à des prix plus avantageux. Le 30 novembre, Jean-François Court, directeur adjoint du ministère de la Culture, a annoncé la mise en place progressive d'un plan de sauvetage des salles assorti d'un crédit de 100 millions de francs et d'un certain nombre de mesures financières, fiscales ou budgétaires, qui ne semblent satisfaire que partiellement la profession.

Cette crise s'inscrit dans un contexte de paradoxes. Inaugurée en 1986, la FEMIS (Fondation européenne des métiers de l'image et du son), une des plus prestigieuses écoles supérieures consacrées aux métiers de l'audiovisuel, fonctionne maintenant à plein rendement, tandis que des options cinéma, mises en place expérimentalement dans quelques lycées en 1984, ont été institutionnalisées en septembre 1986 et doivent déboucher sur des épreuves au baccalauréat en 1989. La France se trouve donc en pointe dans ce domaine aussi. C'est ce que cerne, pour la première fois de manière aussi exhaustive, la revue trimestrielle et thématique CinémAction, dans son numéro 45 (hiver 87/88), intitulé l'Enseignement du cinéma et de l'audiovisuel. Cette publication dresse un historique de la pédagogie en la matière depuis le xixe siècle, tandis que 500 thèses en cinéma et audiovisuel, soutenues depuis 1968 dans les universités françaises, et 1 800 enseignants sont recensés en annexe. Malgré les difficultés, de nombreuses maisons d'édition développent des collections spécialisées dans le 7e Art : Filmo, Cinégraphiques, Stars, chez Edilig ; collections Écrits, Auteurs, aux Éditions de l'Étoile/Cahiers du Cinéma ; 7e Art, CinémAction, aux Éditions du Cerf ; Rivages/Cinéma et Éditions Dis voir, nouveaux venus...

Richesse des publications, rationalisation de l'enseignement et légitimation universitaire des métiers de l'audiovisuel ont trouvé des échos dans les Palmes d'or accordées en 1987 à des cinéastes français dans les deux plus prestigieux festivals du monde : Sous le soleil de Satan, de Maurice Pialat, à Cannes, et Au revoir les enfants, de Louis Malle, à Venise. D'où les paradoxes de cette crise touchant un pays qui possède tous les atouts pour y échapper. Une aide importante de l'État, destinée à pallier les effets d'une concurrence sauvage, et une incitation des spectateurs à revenir dans les salles par l'intermédiaire d'une « carte orange du cinéma » devraient, en partie, stopper cette hémorragie.

Les États-Unis ont connu une crise semblable il y a dix ans et l'ont dénouée essentiellement par le recours aux films à grand spectacle. On note, pour 1987, une consolidation du film de genre maintenant pris en mains par des cinéastes talentueux ou prestigieux. Le fantastique se trouve entièrement renouvelé par la Mouche, de David Cronenberg (métaphore pertinente sur les manipulations génétiques) ; Angel Heart, d'Alan Parker, et Envoûtés, de John Schlesinger, revisitent, quant à eux, les racines occultistes d'origine afro-américaine. La comédie trouve un ton volontiers agressif et s'ouvre au nonsense avec True Stories, de David Byrne ; Pee-Wee Big Adventure, de Tim Burton et Arizona Junior, de Joel Coen. Tandis que le « Vietnam Film » devient, grâce à Platoon, d'Oliver Stone, et à Full Metal Jacket, de Stanley Kubrick, un genre à lui tout seul. Enfin, l'acteur noir Eddie Murphy atteint les sommets du box-office, avec le Flic de Beverly Hill 2, de Tony Scott. Les exploitants français sont ainsi encouragés à présenter des films indépendants réalisés par de jeunes cinéastes de couleur : Nola Darling n'en fait qu'à sa tête, de Spike Lee ; Bluesy Dream, de Billy Woodberry et Hollywood Shuffle de Robert Townsend.