I. Or, comme l'ont montré les expériences de relance par l'investissement (1975-76) et par la consommation (1981-82), la France, à la différence de l'Allemagne fédérale ou du Japon, n'a pas actuellement le moyen d'accélérer sa propre croissance sans creuser son déficit commercial et son déficit des paiements courants. Il lui faudrait se résigner soit à dévaluer le franc, soit à emprunter massivement sur le marché international. Or, ces deux solutions de facilité réduisent, pour ce qui concerne la première, la croissance du pays estimée en pouvoir d'achat international, et, pour ce qui concerne la seconde, la dépense intérieure des années futures pendant lesquelles le pays devra rembourser le service de la dette. La France n'a pas pu éviter de laisser se déprécier le franc par rapport au deutsche Mark et aux autres monnaies fortes de l'Europe. Le DM, qui valait 1,6 F en 1973, en vaut 3,3 depuis février 1987, et notre monnaie a ainsi perdu 42 p. 100 de sa valeur avec les six réajustements de parité intervenus à l'égard du DM depuis octobre 1981. Notre dette extérieure a été contenue dans des limites qui n'ont pas compromis la qualité de notre signature internationale en dépit des recours parfois intenses à l'emprunt extérieur au milieu des années 70 et en 1982-83. Ainsi, à la différence des États-Unis, la France ne peut, dans les conditions actuelles de sa production, accélérer sa croissance jusqu'au minimum de 4,5 p. 100 qui serait nécessaire chaque année pour amorcer une décrue économique du chômage.

II. Si l'on remonte d'un maillon dans la chaîne des causes, la faible compétitivité de la France s'observe dans les faits concordants suivants :

a) La France connaît des échanges déficitaires avec les pays développés de l'OCDE et ne dégage d'excédents qu'à l'égard de pays moins développés ou de certains pays à commerce d'État. Elle occupe ainsi, dans la hiérarchie des nations établie en fonction du contenu technologique de leurs avantages comparés et de leurs spécialités, une place intermédiaire entre les pays très développés et les pays en voie de développement.

b) Elle exporte une proportion relativement élevée de produits peu transformés ou de produits traditionnels pour lesquels elle ne peut espérer défendre ses parts de marché que par des baisses de prix draconiennes, ce qui déprime la valeur de nos ventes. Elle n'est guère spécialisée, sauf exception (vins et spiritueux, parfums, haute couture, etc.), dans ces produits de qualité et de nouveauté qui correspondent à une forte élasticité-revenu et une faible élasticité-prix de la demande, où excellent Allemands. Japonais et Suédois. En un mot, dans la mesure où les clientèles des pays les plus solvables privilégient les biens de qualité plutôt que les produits à prix modiques, la France reste cantonnée dans des créneaux de spécialité peu porteurs.

c) Comme le rappellent de manière plus spectaculaire que substantielle les grands contrats (armements, métros, locomotives...), la France concentre ses ressources en ingénieurs qualifiés sur de grands projets complexes, coûteux, hautement symboliques des compétences techniques cultivées dans certaines de nos grandes écoles. Mais ces projets dépendent beaucoup trop de commandes gouvernementales précaires et irrégulières et ne s'adressent pas directement à la demande marchande du grand public. Il nous faut donc en payer à grands frais les modalités de financement. Cette politique industrielle de « grands coups » ne dégage pas les bénéfices nécessaires aux investissements futurs. Or, dans le même temps, la production française de biens d'équipements professionnels (mécanique et électronique) devient déficiente. Après avoir augmenté de 26 p. 100 de 1977 à 1980, elle a décru de 15 p. 100 depuis lors. Une telle carence nous rend dépendants de l'étranger dans le domaine stratégique des nouvelles normes de fabrication.

d) Pour ce qui concerne les biens de consommation, la France disperse trop ses efforts. Ainsi le CEPII a-t-il calculé en mars 1985 le pourcentage occupé dans la demi-somme des échanges extérieurs d'un pays (exportations + importations, divisées par 2) par l'excédent commercial dégagé sur les cinq produits les plus exportés dans les années récentes. Les résultats sont respectivement de 50 p. 100 pour le Japon, environ 20 p. 100 pour la RFA, les États-Unis et le Royaume Uni, à peine plus de 10 p. 100 pour la France. Au total, nous produisons ici de tout un peu. Nous vendons et des produits de luxe raffinés (boissons) et des produits peu élaborés (céréales) et des produits industriels très concurrencés (automobiles et éléments de véhicules). L'image commerciale et industrielle de la France est de ce fait plus brouillée que celle de nos principaux compétiteurs.