La plupart des pays en développement en difficulté ont donc tant bien que mal accepté jusqu'à présent de se plier à la discipline du FMI. Le Pérou, en revanche, a choisi une stratégie délibérément hostile en décidant, en 1985, de limiter ses dépenses au titre du service de la dette à 10 p. 100 du revenu de ses exportations. Il n'a pas encore pour autant enduré de représailles significatives. Son président, Alan Garcia, en sort d'autant plus renforcé que le pays a retrouvé, en 1986, une croissance réelle très positive. Il n'est pas exclu que d'autres pays (le Mexique en a d'ailleurs envisagé l'hypothèse) suivent le même exemple, dès lors qu'ils estimeront ne plus pouvoir sacrifier la croissance économique à l'ajustement extérieur. Peut-être est-ce aussi une option que les créanciers devraient examiner plus favorablement.

La solidarité bancaire

Il est remarquable qu'à quelques accrocs près la solidarité des banques créditrices ait pu être si longtemps préservée. Car, parmi les plusieurs dizaines de banques qui se partagent les créances sur un pays donné (plus de 500 dans le cas du Mexique), les intérêts individuels peuvent être très différents et parfois conflictuels. En particulier, les banques petites ou moyennes, souvent moins exposées sur les pays en développement en difficulté (en proportion de leur capital), n'éprouvent pas la même incitation que les grosses banques très impliquées à prolonger la fiction de ces créances douteuses et à les accroître par de nouveaux crédits. En outre, les modalités de répartition, entre les banques concernées, des nouveaux crédits négociés par leur comité représentatif, lors des accords de rééchelonnement, font de plus en plus l'objet de discussions. Chacune des banques cherche en fait à reporter sur les autres la plus grande partie des engagements nouveaux. Ces brèches dans la solidarité bancaire sont devenues de plus en plus évidentes, comme en témoigne l'accord avec le Mexique décrit plus haut. Le principe de cet accord avait été défini entre le Mexique et le FMI dès juillet 1985. Il a fallu attendre octobre pour qu'il soit accepté par le comité représentatif des banques. À la date du 21 novembre 1986, le Mexique avait enfin réussi à obtenir la participation de ses banques créancières à hauteur de 90 p. 100 du montage envisagé, pourcentage nécessaire au déblocage du prêt du FMI. Il lui restait donc encore à cette date à obtenir les 10 p. 100 restants pour pouvoir bénéficier du prêt de 6 milliards de dollars qui était prévu.

En dépit des progrès réalisés ainsi, on peut donc se demander si cet arrangement annonce une nouvelle et heureuse prise de conscience par les banques que les accords de refinancement doivent maintenant privilégier le rétablissement de la croissance dans les pays en développement, et une conception à beaucoup plus long terme de programmes d'ajustement ; vu le temps nécessaire pour aboutir et les pressions considérables exercées sur les banques, notamment par le gouvernement américain, on peut aussi interpréter cet accord comme un signe précurseur d'un début de dissociation, ou du moins de distanciation, des banques par rapport à la gestion de la dette. Il faut reconnaître qu'au fur et à mesure des différentes renégociations, les banques ont peu à peu donné leur agrément à des concessions qui auraient paru inimaginables quelques mois auparavant, et que l'on pouvait interpréter comme un signe de maturation et une amorce de vision à plus long terme des problèmes posés par l'ampleur de leurs risques. L'accord mexicain en 1986 crée toutefois un précédent en obtenant des banques une entorse de taille à l'orthodoxie traditionnelle : le principe du prêt conditionnel est en effet de prêter d'autant plus que la santé du pays se détériore ! Si les banques l'ont accepté pour le Mexique, il n'est pas sûr qu'elles soient prêtes à le refaire. À l'issue des inévitables renégociations qui devront avoir lieu avec, entre autres, l'Argentine, le Nigeria, ou les Philippines, 1987 devrait, sur ce point, fournir de plus amples éclaircissements (Voir l'article de Françoise Crouigneau dans le Monde du 21 novembre 1986, p. 40).