José Luis Massera, ancien professeur de mathématiques et député au Parlement uruguayen, libéré en mars 1984, après huit ans et demi d'emprisonnement pour ses opinions politiques, écrit : « J'ai reçu une lettre directement de Sète. Ce fut un événement dans la prison, non seulement pour moi et mes familiers, mais pour tous les prisonniers, malgré les cloisonnements qui empêchaient la communication entre les différentes parties de ces bâtiments énormes. La nouvelle d'une lettre arrivée de France, d'un tout petit village que personne ne connaissait ! Cela nous a donné l'idée qu'il y avait dans le monde un mouvement très large, auquel participaient des gens qui étaient près de nous. Cela a été la chose la plus importante pour pouvoir résister aux atrocités de la torture et de la prison en général. »

Un autre prisonnier d'Amérique latine : « Je suis resté pieds et mains liés pendant huit mois. Le soir de Noël, la porte de ma cellule s'ouvrit et le garde lança à l'intérieur un morceau de papier chiffonné. Je me traînai comme je pus pour le ramasser. Il disait simplement : « Constantin, ne te décourage pas ; nous savons que tu es vivant. » Il était signé « Monica » et portait l'emblème d'Amnesty International. Ces mots sauvèrent ma vie et me rendirent mon courage. Huit mois plus tard, j'étais libéré. »

« En général un prisonnier d'opinion ne prend connaissance qu'indirectement de l'intérêt d'Amnesty à son égard, lors de railleries de ses geôliers ou dans les lettres des membres de sa famille qui sont strictement censurées, mais cela suffit à lui procurer un sentiment merveilleux : après tout, il n'est pas complètement oublié, quelqu'un pense à lui. L'intérêt de l'opinion publique mondiale sur le sort des prisonniers tchèques nous est essentiel », disait Karel Kynel, journaliste tchèque accusé de subversion.

Campagnes 1986

En plus du rapport annuel, Amnesty publie des rapports de missions et des études sur la situation et sur les actions entreprises ou à entreprendre. Voici quelques exemples de ces documents pour l'année 1986.

Chili : les commandos clandestins

Le « rapport de mission », publié au mois d'août 1986 affirme que « la menace d'arrestation, d'enlèvement, de torture et même de mort, est une réalité continuellement présente dans la vie d'un millier de Chiliens, qu'il s'agisse de chrétiens travaillant avec l'Église, de défenseurs des droits de l'homme, d'habitants des quartiers pauvres ou de membres d'organisations d'opposition ». Ce texte, qui traite des arrestations politiques, des rafles, des descentes de police et aussi des tortures, auxquelles participent des médecins, fait en particulier état des « agressions et manœuvres d'intimidation commises par des commandos clandestins, qualifiés familièrement d'inconnus » et qui se sont multipliés depuis 1983 en réaction au mécontentement populaire.

Pour Amnesty, leurs actions tendent à « dissuader les Chiliens de participer à des actions jugées contraires à l'intérêt du gouvernement, et ces groupes sont composés d'agents des services de sécurité agissant en secret avec des collaborateurs civils ».

Afghanistan : la torture

Le document sur l'Afghanistan, publié en novembre 1986, rapporte de nombreux témoignages de torture recueillis auprès d'anciens détenus. Tout en soulignant qu'il y a d'autres motifs de préoccupation (exécution sommaire d'opposants armés, mais aussi de non-combattants ; détention de prisonniers politiques, dont des prisonniers d'opinion ; condamnations à mort), Amnesty dénonce les divers types de tortures pratiqués par le Khad (service de renseignement de l'État) : passages à tabac ; privation de sommeil ; usage de l'électricité. Plusieurs prisonniers ont donné des noms de détenus qui seraient morts des suites de tortures. Et le rapport poursuit : « La plupart du temps, les prisonniers précisent que le personnel soviétique est présent pendant les séances de torture et participe aux interrogatoires ou les conduit. Par contre, les Afghans sont chargés d'appliquer la torture. » Mais Amnesty ne cache pas que l'opposition a recours elle aussi à la torture et aux exécutions sommaires.

Afrique du Sud : les peines capitales

Le document sur l'Afrique du Sud analyse les effets de l'état d'urgence décrété en juillet 1985. À la fin du mois d'octobre de la même année, 400 personnes auraient été détenues depuis le début de l'état d'urgence. Plus de 800 écoliers auraient été arrêtés à Soweto les 22 et 23 août 1985. Parlant également des prisonniers morts en détention et des enlèvements et assassinats d'opposants, Amnesty rappelle que « tous les ans, une centaine de personnes sont pendues en Afrique du Sud » et dresse le tableau des exécutions capitales au cours des dernières années. En 1984 : 115, dont 88 Noirs, 24 métis, 2 Blancs et 1 Asiatique.

Critiques et polémiques

L'action d'Amnesty International suscite des réactions parfois vives des autorités gouvernementales et de la presse. Le mouvement fait lui-même volontiers état de ces critiques ; leur diversité et leur contradiction apparaissant, globalement, comme un gage de son indépendance.