Il a fallu que quelques-uns de ces rescapés de l'horreur et leurs parents créent des associations et multiplient les démarches pour qu'on s'intéresse enfin à leur sort. Ainsi est né SOS-Attentats, sous l'impulsion de Françoise Rudetzki, grièvement blessée dans l'attentat du Grand Véfour, en décembre 1983, et qui a dû être opérée une trentaine de fois D'autres initiatives ont vu le jour en 1986 pour informer les victimes sur leurs droits et sur les démarches à accomplir.

La nouvelle loi prévoit la création d'un fonds de garantie, alimenté par des prélèvements sur les contrats d'assurance. Elle concerne toutes les victimes d'un acte terroriste en France, quelle que soit leur nationalité, mais aussi les Français se trouvant à l'étranger. Cette loi n'a cependant pas d'effet rétroactif. Or on estime que 700 personnes environ ont été tuées ou blessées dans des attentats en France depuis 1974.

Un bref moment d'union nationale

La France est frappée par le terrorisme alors qu'elle vit une expérience politique sans précédent : un président de la République socialiste « cohabite » avec un Premier ministre de droite. Les attentats ont pour effet immédiat de les rapprocher l'un de l'autre et de faire taire les polémiques entre les partis. La classe politique serre les rangs. François Mitterrand ira jusqu'à exprimer publiquement sa « confiance » dans les responsables de la lutte antiterroriste.

La seule fausse note vient du Front national. Son leader, Jean-Marie Le Pen, refuse de se solidariser avec l'action du gouvernement qu'il juge « désinvolte ». Et il n'hésite pas, malgré l'interdiction du Premier ministre, à organiser une manifestation contre le terrorisme à Paris, le 22 septembre.

La belle unité du monde politique se dissipera progressivement, à mesure que le péril terroriste semblera s'éloigner. Les socialistes critiquent « l'incohérence » du gouvernement et ironisent sur le fait que le ministre de l'Intérieur, Charles Pasqua, prétendait « terroriser les terroristes » après son entrée en fonction. Dans les rangs mêmes de la majorité, des voix discordantes se font entendre. Le courant UDF s'étonne que la France ne se solidarise pas immédiatement avec la Grande-Bretagne. Celle-ci a rompu, en octobre, ses relations diplomatiques avec la Syrie, dont les services secrets sont reconnus coupables d'une tentative d'attentat contre un avion israélien.

Les Français s'interrogeaient fébrilement, en septembre, sur la cause des attentats. À partir d'octobre, ils se demandent, avec la même perplexité, pourquoi les attentats ont cessé. Ni les contrôles aux frontières ni les mesures de précaution prises à Paris ne suffisent à expliquer cette accalmie. Faut-il l'attribuer à des négociations, sinon à un marché conclu avec les terroristes ? Il n'y a « aucun compromis, aucune négociation avec les terroristes ou les intermédiaires », a fermement assuré le Premier ministre.

Le Monde révélera, cependant, fin octobre, qu'une trêve a été imposée aux poseurs de bombes par l'intermédiaire des gouvernements syrien et algérien. Trêve fixée jusqu'à février 1987 – date du procès de Georges Ibrahim Abdallah – et assortie des menaces de représailles françaises si des attentats étaient commis pendant cette période. L'Algérie et la Syrie semblent avoir été, l'une et l'autre, récompensées de leur coopération : treize opposants algériens résidant en France sont interpellés fin octobre et échappent de peu à une expulsion ; du blé et de la farine sont livrés à la Syrie, qui connaît de graves difficultés économiques.

Les informations du Monde sont démenties très mollement. Le gouvernement ne semble pas mécontent, après tout, qu'on dise aux Français qu'il a su faire cesser les attentats terroristes. Le mystère reste cependant à peu près entier. À la fin de 1986, les Parisiens se demandent encore qui a eu la folle idée, et dans quel but précis, de vouloir faire de leur ville un Beyrouth-sur-Seine. Ils se rendent surtout bien compte qu'aucune mesure de police, aucune menace de représailles ne peut extirper ce terrorisme qui est lié à la solution des interminables conflits du Proche-Orient.

Robert Solé
Après avoir été correspondant à Washington et à Rome, Robert Solé dirige actuellement le service Société du Monde. Il a publié le Défi terroriste aux éditions du Seuil, dans la collection l'Histoire immédiate.