Un autre caracole aussi dans les sondages. Il s'appelle François Léotard et, lui, doit vivre une situation quelque peu différente. Sans doute, au lendemain de mars, est-il l'un des vainqueurs des élections. Son parti est bien représenté au gouvernement – au point de constituer la « bande à Léo » –, il est un ministre important et il a scellé avec Jacques Chirac un pacte. Les sondages lui sont toujours aussi favorables, même si la classe politique murmure. Car elle s'interroge sur ce jeune homme et se demande s'il est aussi bon ministre de la Culture qu'homme politique. Alors, dans les salons et dans les dîners en ville on se gausse volontiers du jeune prétendant plus fragile, dit-on, qu'il ne paraît, plus soucieux, dit-on encore, de sa présence dans les médias que de sa réelle crédibilité. François Léotard n'attache guère d'importance à ces bruits. Il estime, lui, qu'il ne peut être négligé sur l'échiquier politique et que son avenir, à la différence de bien d'autres, est vraiment devant lui.

Dans cette galerie de portraits qui anime le paysage, il faudrait encore citer Jean-Marie Le Pen. Fort d'un groupe parlementaire, le leader du Front national a lui aussi fait son choix : il sera présent en 1988 dans l'élection présidentielle. Et s'il doit se désister au second tour, ses préférences pencheront davantage vers Raymond Barre que vers Jacques Chirac. Car il n'apprécie guère que le Premier ministre veuille lui tailler des croupières. Aussi n'a-t-il pas hésité à mêler parfois ses voix avec la gauche pour censurer le gouvernement et à protester haut et fort contre la loi – l'abandon de la proportionnelle et le retour au scrutin majoritaire qui le condamne et ne lui permettra plus d'être présent en tant que groupe parlementaire. « Ave Caesar, morituri te salutant. » C'est avec ces mots, reprenant l'habituel salut des gladiateurs promis à la mort, qu'il a, par exemple, accueilli le Premier ministre lorsqu'il s'est agi de discuter de la modification du scrutin. La phrase était significative et Jacques Chirac ne pouvait ignorer l'avertissement : désormais, Jean-Marie Le Pen userait de son influence pour contrecarrer celui qui, pense-t-il, peut l'éliminer de la scène politique.

Il faudrait encore, pour que le tableau soit complet, citer deux hommes qui restent présents, qui ont leurs partisans. Le premier, Valéry Giscard d'Estaing, a déjà connu la magistrature suprême et rien ne dit qu'il brûle du désir d'y revenir. Mais rien ne dit non plus le contraire et Giscard, en ces temps cohabitationnistes qu'il a toujours approuvés, ne va pas sans garder une féroce présence. De temps à autre, il émet des critiques envers le gouvernement, s'étonnant un jour de sa position vis-à-vis des États-Unis, regrettant un autre jour une utilisation systématique du vote bloqué. Surtout, même s'il relance vers la fin de l'année l'idée d'un président pour l'Europe, il cache encore soigneusement ses intentions quant aux futures présidentielles : « Je ne prendrai position que dans un an », assure-t-il en octobre, dépassant d'ores et déjà le rôle que certains voulaient lui assigner : celui d'être simplement une figure emblématique, prêt à servir la cause barriste.

Michel Rocard aussi ne se découvre qu'à demi. Comme d'autres, il garde une bonne cote dans les sondages, comme d'autres il sait que le mystère sied volontiers aux ambitieux. Pourtant, sa candidature, pour peu que le chef de l'État ne soit pas présent dans la compétition, apparaît inéluctable. Au point d'inquiéter certains membres du parti socialiste, plus prêts à opter pour Laurent Fabius, voire même Lionel Jospin, dans l'hypothèse où l'hôte de l'Élysée ne souhaiterait pas renouveler le bail.

Oui, décidément, la cohabitation n'est pas qu'un régime tranquille et unanimiste. Au paradis du consensus, les ambitions se découvrent tout aussi brutales que lorsque l'Élysée et Matignon étaient occupés par un personnel politique de même obédience. Car, qu'on ne s'y trompe pas, l'année 1986 aura d'abord révélé une idée fixe. Elle hante aussi bien les têtes de droite que les têtes de gauche et même si on en parle rarement, on y pense toujours. Cette idée fixe s'appelle bien sûr élection présidentielle, qu'elle intervienne à sa date normale en 1988 ou qu'une crise, d'autant plus foudroyante qu'elle ne se sera guère annoncée, l'avance à 1987.