Régionalisation et décentralisation

Depuis que les Conseils régionaux ont été élus au suffrage universel en mars 1986, la décentralisation est devenue une composante permanente de la vie politique française.

Introduction

Pour trois raisons au moins, l'année 1986 pourra être marquée d'une pierre blanche dans la chronique de la décentralisation et de la régionalisation. Pour la première fois dans l'histoire de la République, des élections ont eu lieu le 16 mars – le même jour que les législatives – pour désigner au suffrage universel 1 840 conseillers régionaux. 1986 a été aussi l'année pendant laquelle a été achevée la quasi-totalité de ce qu'on appelle les « transferts de compétences », c'est-à-dire de pouvoirs, autrefois exercés par l'État et ses fonctionnaires, et qui relèvent désormais des collectivités locales, Régions, départements, communes. Enfin – troisième élément à relever –, c'est la mort de Gaston Defferre, qui fut l'artisan, l'inventeur et le grand maître de la décentralisation. On se souviendra de cette boutade que lança un jour le maire de Marseille, à peine nommé au gouvernement, en juin 1981, et installé place Bauveau : « Si j'avais pu choisir tout seul mon titre de ministre, je me serais fait appeler ministre de la Décentralisation et de l'Intérieur, et non l'inverse. »

Décentralisation, régionalisation, autonomie des collectivités locales sont des notions à la fois proches et pourtant distinctes. La décentralisation (qui est une vieille idée dont la gauche n'a d'ailleurs pas à revendiquer le monopole) a bénéficié, depuis 1981, à la fois aux départements et à leurs organes dirigeants (les conseils généraux et leur « patron », le président du conseil régional), aux maires et surtout aux conseils régionaux. Surtout parce que, jusqu'à mars 1986, ces conseils, à la différence des communes et des départements, n'étaient pas, juridiquement, des collectivités locales de plein exercice. C'est chose faite depuis que leurs membres sont élus au suffrage universel. Ils n'ont d'ailleurs pas mis beaucoup de temps pour acquérir une réelle légitimité. D'où – souvent – la confusion dans l'opinion publique entre décentralisation et régionalisation.

Quant à l'autonomie des collectivités locales, elles se caractérise par une double liberté depuis la grande loi-cadre du 2 mars 1982. D'abord, le représentant de l'État, qui s'appelle désormais commissaire de la République, n'est plus détenteur du pouvoir exécutif dans le département ou la Région. Sa tutelle sur les élus du suffrage universel s'est considérablement réduite. En second lieu, aucune collectivité ne peut exercer une tutelle sur une autre. Ainsi, la Région n'a pas de pouvoir juridique hiérarchique ou financier sur les départements qui la composent et un conseil général ne peut forcer la main d'une commune. Seul l'État conserve un pouvoir d'arbitrage.

À mesure que s'affirment les pouvoirs des Régions (et certaines sont présidées par des personnalités qui ne veulent évidemment pas faire de la figuration), la vieille querelle entre les départementalistes et les régionalistes ressurgit. À terme, qui l'emportera de la vieille structure départementale, créée en 1790, réorganisée en 1871, solidement implantée dans les mentalités et les réalités provinciales, et de la Région, institution neuve, tout entière tournée vers l'économie et l'aménagement du territoire ? Quatre niveaux d'administration – l'État, la Région, le département, la commune (sans compter la communauté urbaine parfois et l'échelon européen) –, n'est-ce pas trop ? N'est-ce pas la porte ouverte à une multiplication à l'infini de la bureaucratie ?

La décentralisation a aussi introduit des transformations profondes dans le rôle et la place du préfet, représentant de l'État dans le département et la Région. Il a perdu les attributs du pouvoir exécutif, notamment celui d'élaborer et de mettre en œuvre le budget départemental ou régional. Ses pouvoirs de contrôle consistent désormais uniquement à s'assurer que les délibérations des collectivités locales sont bien conformes aux lois et décrets de la République. Dans le cas contraire, il défère ces délibérations au tribunal administratif. Lorsqu'il s'agit d'anomalies financières et précisément budgétaires (un budget présenté en déséquilibre, des dépenses dites obligatoires non inscrites), l'une des 24 chambres régionales des comptes (22 pour la métropole, 2 pour l'outre-mer) est saisie.