L'affaire du Rainbow Warrior, dans laquelle le gouvernement français est incontestablement impliqué, encore qu'indirectement par l'entremise de services spéciaux et dans des conditions qui n'ont pas été totalement élucidées, ne constitue pas le seul élément du contentieux entre les deux pays ; il en est le plus récent et le plus grave, mais représente, lui-même, l'aboutissement d'une querelle provoquée, notamment, par les expérimentations nucléaires auxquelles se livre la France dans le Pacifique Sud. Certes, l'opinion néo-zélandaise est très sensibilisée à ces problèmes, mais elle l'est bien davantage aux difficultés que rencontrent les produits agricoles de son pays à se placer sur le marché mondial.

Jusqu'à l'entrée de la Grande-Bretagne au sein de la CEE, la préférence impériale jouait en faveur des produits néo-zélandais : le beurre et la viande de mouton se répandaient dans les foyers britanniques sans restriction d'importation. L'adhésion de l'Angleterre au Marché commun a été ressentie comme un véritable abandon de la part de Londres, dans ce pays, membre du Commonwealth qui a toujours été considéré comme l'un des plus attachés à la mère patrie lointaine. Mais le sentiment de frustration s'est bien vite détourné contre la France, considérée à juste titre comme responsable de ce glissement de la Grande-Bretagne de sa responsabilité mondiale vers la solidarité continentale ; c'est, en effet, une initiative de M. Pompidou qui devait, en 1972, adjoindre à la CEE trois membres nouveaux, le Danemark, l'Irlande, mais aussi l'Angleterre.

On découvre ainsi que, sur le plan mondial, la part de la Nouvelle-Zélande dans le commerce international de la laine est de 70 %, de 50 % pour la viande de mouton, de 30 % pour le beurre ; il y a, en effet, à peu près deux bovins et vingt ovins par habitant ! Faute de pouvoir alimenter la Grande-Bretagne dans les mêmes conditions qu'avant 1972, les fermiers néo-zélandais font preuve d'une belle agressivité sur les marchés tiers du Proche-Orient et de l'Extrême-Orient, où ils ont pris de nouvelles positions aux dépens des producteurs américains et européens. Wellington s'efforce, de plus, de négocier avec Bruxelles pour obtenir et élargir certains quotas d'importation de produits agricoles dans la Communauté.

Antérieurement aux événements brutaux de l'été dernier, Wellington reprochait déjà à Paris une certaine désinvolture à son égard. D'Europe, les regards se tournent plus directement vers le voisin australien, d'ailleurs plus grand, plus peuplé et surtout beaucoup plus riche, notamment en matières premières minérales dont la Nouvelle-Zélande est, quant à elle, presque complètement dépourvue. Il semble bien qu'il y ait une sorte de rivalité feutrée entre les deux anciens dominions blancs du Pacifique. C'est une attitude que l'observateur étranger doit prendre en compte, d'autant plus que la Nouvelle-Zélande, située au sud-est du continent australien, est de ce fait beaucoup plus proche des autres communautés, États ou territoires, insulaires les uns et les autres, du Pacifique Sud ; elle s'en ressent également plus solidaire par la présence d'une forte minorité autochtone qui permet réellement à ce pays de se sentir comme partie intégrante de ce monde du Pacifique, beaucoup plus que l'Australie.

La Nouvelle-Zélande constitue la pomme de discorde entre la France et l'Angleterre dans cette région du monde où, dès l'époque des grands voyages de circumnavigation, ces deux pays nourrissaient des ambitions rivales, d'abord scientifiques, puis territoriales. C'est d'ailleurs par crainte d'une tentative d'implantation française considérée comme imminente, à tort semble-t-il, que Lord Goderich, secrétaire d'État aux Colonies, désigna en 1840 un résident qui s'empressa de signer une série d'accords de protectorats, connue sous le nom de traité de Waitangi, avec les chefs de clans maoris. Les Français ont, depuis cette époque, peu fréquenté ces îles. Les événements malheureux de l'année 1985 auront eu au moins le mérite d'aiguillonner la curiosité des Français vers ce pays du bout du monde. Il n'est pas trop paradoxal d'avancer que 1985 aura été, en quelque sorte pour la France, l'année de la Nouvelle-Zélande !

Jean-Pierre Gomane