Plus au nord de cette zone appelée traditionnellement « le grand archipel d'Asie », il faut mentionner également la situation difficile des Philippines, en butte à une double rébellion : une guérilla, actuellement assez peu active, menée par la minorité musulmane au Sud, et une action, plus diffuse et sans doute plus dangereuse, animée dans l'ensemble du pays, surtout en milieu rural, par le parti communiste des Philippines, clandestin, mais en pleine expansion, compte tenu des excès du régime de M. Marcos. Dans ces deux cas, les influences extérieures sont évidentes et aggravent l'instabilité de toute la région. À terme, si l'ensemble des menaces potentielles qui pèsent en permanence sur les détroits insulindiens devaient s'activer simultanément, on pourrait craindre un formidable bouleversement des équilibres économiques et géostratégiques de l'ensemble de la zone du bassin du Pacifique.

Les nouveaux pays industrialisés cherchent leur second souffle

Les nouveaux pays industrialisés vieillissent mal, comme l'expression même qui est utilisée pour les désigner. En effet, ou bien l'industrialisation n'a pas réussi à amorcer un développement global, et ces pays risquent de sombrer dans des déséquilibres sectoriels aggravés par une dette extérieure de plus en plus lourde, ou bien cette industrialisation, malgré les aléas d'une conjoncture internationale incertaine, voire morose, a réussi à induire un processus durable et structurel de croissance, et, dans de tels cas, le terme de nouveau se trouve de moins en moins adéquat. Il semble bien que la plupart des États en voie d'industrialisation rapide et irréversible se trouvent dans le Pacifique, notamment dans le quart nord-ouest de ce bassin océanique.

La première vague, celle que l'on pourrait donc qualifier, non sans quelque paradoxe, d'anciens « nouveaux pays industrialisés », est également connue sous le nom de petits Japons ou de petits dragons, ou encore de bande des quatre puisqu'elle rassemble effectivement quatre États ou territoires de l'Asie orientale. Il se trouve que ces quatre entités politiques ont un statut ou un destin un peu particulier, ce qui n'est pas sans expliquer en partie le dynamisme auquel ils ont été plus ou moins contraints. Il s'agit, rappelons-le, en suivant du N au S la côte orientale du continent asiatique, de la Corée du Sud, de Taiwan, qui a accueilli une partie de l'appareil dirigeant de la Chine du Guomindang après la victoire des communistes sur le continent, de Hongkong, séquelle des traités inégaux du xixe siècle et reliquat du prestigieux Empire britannique, enfin de Singapour, État-île à population majoritairement chinoise, enkysté dans le monde malais aux alentours de l'équateur. Or, pour ces quatre pays eux-mêmes, pour lesquels le terme de « miracle économique » fut fréquemment prononcé depuis plus d'une décennie, l'année 1985 a apporté sinon de graves déboires, du moins des difficultés croissantes.

Certains problèmes apparaissent plus ou moins permanents, mais ont connu des rebondissements récents. Ainsi, durant toute cette année, les milieux d'affaires ont continué à se pencher attentivement sur le statut futur de Hongkong tel qu'il a été laborieusement mis au point entre Londres et Pékin et confirmé par l'accord du 26 septembre 1984. Mais, simultanément, la politique adoptée par la République populaire en matière de développement industriel et de politique commerciale, notamment dans les zones économiques spéciales, risque de faire perdre à l'ancienne enclave britannique une partie des avantages spécifiques qui l'avaient transformée en un des hauts lieux de l'activité commerciale, industrielle, voire bancaire de l'Asie orientale. Cependant, la situation géographique de l'île et de son hinterland, les facilités et infrastructures, portuaires entre autres, au débouché de la Chine du Sud, confèrent à Hongkong des atouts de première valeur qui laissent bien augurer de son avenir, malgré les incertitudes politiques.

Taiwan, pour sa part, paraît s'être installée dans sa « sécession », malgré les revendications contradictoires de Pékin et de Taipeh à l'unité de la Chine. Les hommes de la génération qui parvient aux responsabilités politiques et économiques ne semblent plus autant motivés par cette nostalgie unitaire que leur aînés ; ils seront solidement installés dans le monde libéral et donnent l'impression d'être plus intéressés par le Japon ou les États-Unis que par la Chine continentale, encore que, au mépris de l'idéologie, ils ne dédaignent pas de commercer, directement ou, surtout, indirectement, avec leur rival et adversaire communiste. Mais, ayant fort bien réussi sa première révolution industrielle il y a plus d'une génération, Taiwan semble aujourd'hui éprouver quelques difficultés à s'adapter aux nouveaux besoins du marché international, notamment en matière de technologies de pointe. L'économie taiwanaise paraît manquer en la matière à la fois de capitaux, car le tissu industriel du pays est constitué essentiellement d'entreprises petites et moyennes, et de matière grise, car, dans un pays où le niveau éducatif est très élevé, il existe une considérable « fuite des cerveaux ».