En effet, il semble que, au-delà de l'aspect contingent des diatribes qui s'élèvent périodiquement à l'encontre de la France, les populations du Pacifique Sud fassent preuve d'une réaction, peut-être peu rationnelle mais certainement profonde et authentique, visant à éliminer de cette région toute activité ayant, de près ou de loin, des relations avec le nucléaire.

C'est ainsi que le Premier ministre néo-zélandais, M. David Lange, s'est vu contraint, pour respecter des promesses électorales peut-être imprudentes, de refuser à des bâtiments de guerre de la marine des États-Unis le droit de faire escale dans les ports de son pays, malgré l'alliance militaire qui lie, depuis 1951, Wellington à Washington et à Canberra, sous le nom d'ANZUS (Australia-New Zealand-United States). En effet, une disposition réglementaire interdit à la marine américaine de préciser publiquement si un de ses bâtiments transporte des armes nucléaires ; ce refus s'explique assez naturellement par des considérations de secret militaire. Le gouvernement japonais lui-même, malgré la pression d'une opinion publique sensibilisée aux problèmes nucléaires pour des raisons historiques, a décidé de ne point poser de telles questions, de manière à ne pas mettre en difficulté son grand allié sur le plan diplomatique comme sur le plan militaire. Plus dogmatique, le Premier ministre néo-zélandais, poussant à l'extrême sa position de principe antinucléaire, va même, non sans quelque inconséquence, jusqu'à risquer, avec Washington, un conflit dans lequel la grande puissance d'Amérique du Nord ne manque pas de moyens de pression, voire de rétorsion. Ainsi, l'ambassadeur désigné des États-Unis à Wellington, avant de partir rejoindre son poste, a déclaré publiquement qu'une telle attitude de la Nouvelle-Zélande pourrait mettre un terme à l'accord de l'ANZUS ; cette menace, a été confirmée par le secrétaire d'État adjoint pour l'Asie orientale et le Pacifique, Paul Wolfowicz, le jour même de la mise en application de la loi antinucléaire, le 12 décembre. Enfin, d'une manière plus feutrée mais plus redoutable pour l'économie de ce pays essentiellement agricole du Pacifique Sud, les facilités consenties à l'entrée sur le territoire américain de contingents de produits laitiers ou de viande ovine pourraient, elles aussi, être remises en question.

Cependant, la campagne antinucléaire continue à battre son plein dans l'ensemble du Pacifique. Les Japonais, pour leur part, ont totalement renoncé à leur projet de déverser les déchets radioactifs provenant de leurs centrales nucléaires dans les eaux du Pacifique, même dans les parages des fosses abyssales, comme ils en avaient manifesté l'intention il y a quelques années. D'ailleurs, le retraitement et le reconditionnement d'une partie de ces déchets en France, grâce aux installations fonctionnant à l'usine de la Hague, ont permis au Japon de résoudre partiellement son problème de résidus nucléaires, sans recourir à une méthode qui avait le mérite de la simplicité mais qui aurait présenté pour eux l'inconvénient majeur de mettre ce pays au ban de la communauté internationale de la région, alors que, contradictoirement, il y jouit d'une sympathie certaine de la part des milieux antinucléaires, en raison même de son passé, ayant été l'unique victime d'explosions nucléaires opérationnelles, celles de Hiroschima et de Nagasaki, les 6 et 9 août 1945.

Quels que soient les moyens et les inspirations des antinucléaires dans le Pacifique, ils jouissent incontestablement des sympathies des opinions publiques et des gouvernements. Le résultat le plus tangible, encore que hautement symbolique, a été la mise au point d'un projet de traité de dénucléarisation du Pacifique Sud, sur le modèle du traité de Tlatelolco qui a créé en Amérique latine une zone dénucléarisée. En fait, contrairement à ce qui se passe sur terre, il est difficile sinon illusoire de contrôler l'application d'un tel traité dans une zone maritime alors que des sous-marins peuvent s'y promener en toute sécurité et en toute discrétion. Ce projet fut adopté lors de la réunion annuelle du Forum du Pacifique qui s'est tenue en août à Rarotonga dans les îles Cook. Ce Forum rassemble les États indépendants et autonomes du Pacifique, la France n'y est évidemment pas présente et joue souvent le rôle de bouc émissaire. Il ne faut cependant pas considérer que le mouvement antinucléaire soit exclusivement dirigé contre elle-même. En fait, il semble s'agir d'un mouvement d'opinion très réel et très profond dont les gouvernements ne pourront pas ne pas tenir compte dans l'avenir ; l'année 1985 semble avoir marqué une étape importante en ce domaine, tant par la prise de position brutale de la Nouvelle-Zélande à l'encontre de son allié américain que par l'adoption du traité de dénucléarisation du Pacifique Sud.

Les Français découvrent la Nouvelle-Zélande

Au moment même où, à Paris, les mélomanes admirent une fois de plus une « comtesse » mozartienne néo-zélandaise sans même savoir qu'elle l'est et, qui plus est, métisse de maori, les relations sont au plus bas entre les deux gouvernements sinon entre les deux peuples qui se connaissent à peine. Le sabotage dans le port d'Auckland d'un bâtiment du mouvement écologiste Greenpeace est certainement le principal responsable de la dégradation d'un climat qui n'avait cependant jamais été très amène, sauf lorsque, durant la Première Guerre mondiale, un contingent néo-zélandais, fusionné d'ailleurs à un contingent australien sous le nom d'ANZAC (Australia and New Zealand Army Corps), était venu épauler les Franco-Britanniques d'abord aux Dardanelles, puis dans les Flandres.