Dès les années 50, à l'époque où le « camp communiste » Chine comprise – se trouvait encore unanimement regroupé sous la férule de Moscou, Washington avait élaboré une doctrine stratégique visant à contenir la poussée communiste en Asie ; ce fut la théorie dite du « containment » élaborée par John F. Dulles, alors secrétaire d'État du président Eisenhower. Ce dispositif militaro-diplomatique s'appuyait sur le déploiement, en bordure ou à proximité du continent asiatique, des forces terrestres et aéronavales des États-Unis ; il était renforcé par tout un réseau d'alliances, notamment le traité de l'OTASE (Organisation du traité de l'Asie du Sud-Est ; en anglais : SEATO). Le chef de la diplomatie américaine d'alors était célèbre pour ce que ses détracteurs appelaient sa « pactomanie », depuis l'Atlantique (NATO) jusqu'au Pacifique (SEATO), en passant par le Proche-Orient (CENTO).

Depuis cette époque, cet édifice a été quelque peu ébranlé, mais, en Extrême-Orient au moins, il n'a guère été modifié, malgré les aléas parfois contradictoires de la conjoncture internationale ; en effet, si la défaite américaine au Viêt-nam a mis à mal ce dispositif, en revanche, un tel échec était déjà en partie compensé par le divorce entre Pékin et Moscou à la fin des années 50, suivi du réchauffement des relations sino-américaines qui, en 1972, en fut la conséquence lointaine. À la nécessité de surveiller l'ensemble du continent asiatique, tout au long de la côte occidentale de l'océan Pacifique succédait l'obligation de circonscrire la présence aéronavale soviétique en mer d'Okhotsk qui borde la côte sibérienne, puis, à partir de 1975, en mer de Chine méridionale, au débouché des bases de Danang et de Cam Ranh, mises à la disposition de l'URSS par le gouvernement de Hanoi.

Pour jalonner le déploiement de leur propre appareil militaire, les États-Unis s'étaient implantés solidement à travers toute la partie occidentale de l'océan Pacifique, grâce à un chapelet de points d'appui dont le plus ancien était l'île de Guam, en Micronésie, à environ quinze cents kilomètres à l'est des Philippines. Mais la victoire de 1945 avait permis aux Américains de s'installer également au Japon et en Corée du Sud. Enfin, en accordant, en 1946, l'indépendance à leur ancienne colonie des Philippines selon une promesse faite avant même la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis se réservaient l'usage de deux bases que le gouvernement de Manille leur concédait à bail renouvelable tous les cinq ans, la base de Subie Bay, à l'intention de l'US Navy, et celle de Clark pour l'US Air Force.

Mais, aujourd'hui, l'évolution de la situation politique de ce pays constitue pour le Pentagone un souci majeur dans la mesure où le régime actuel du président Marcos, en place depuis plus de quinze ans, semble à bout de souffle, compte tenu de son incompétence en matière économique et de ses abus de pouvoir. Si M. Marcos doit s'effacer, il est probable que ses successeurs, pour se démarquer de sa propre politique trop ostensiblement proaméricaine, s'emploieront à négocier, avec plus ou moins de détermination, la fin de la présence militaire des États-Unis, considérée comme attentoire à l'indépendance nationale, mais cependant pourvoyeuse de revenus dont le pays éprouve un impératif besoin.

Cependant, pour ne pas être pris de court par une évolution risquant de remettre en cause la présence militaire américaine dans ce pays fragile et instable, le Pentagone s'efforce de préparer des solutions de rechange. Heureusement pour eux, les responsables politiques de Washington ont su, simultanément, sauvegarder la position des États-Unis dans l'archipel de Micronésie. Les divers ensembles constituant cet archipel, les Mariannes, les Marshall, les Carolines et les Palau, ont, selon des modalités variables, décidé, à la suite d'un processus démocratique, de rester liés aux États-Unis, soit comme territoires fédéraux, soit comme États en libre association. L'essentiel pour Washington est de conserver la haute main sur les problèmes de sécurité et de relations internationales de ces territoires et d'en interdire l'accès à des puissances tierces.