Dans tous les cas, la cohabitation dénoncée par Raymond Barre, qui cultive « sa différence », ne sera pas facile. La France s'apprête à entrer dans une forte zone de turbulences.

Les mêmes valeurs

Mais les péripéties prévisibles ne doivent pas lui faire oublier les progrès accomplis. Et l'on revient au « nouveau débat ». Il n'y a plus entre les hommes qui ont une chance réelle d'accéder à l'Élysée de profondes divergences sur les fondements, sur les valeurs de la société française : libertés, démocratie politique, indépendance nationale, dissuasion nucléaire...

La prochaine élection présidentielle sera, de ce point de vue, significative. Les deux hommes qui se retrouveront au 2e tour ne proposeront pas le grand chambardement. Ils sacrifieront bien sûr au rite. Ils pimenteront leurs discours de quelques notes doctrinaires pour mieux « fixer » les voix des électeurs politisés ou extrémistes. Mais personne ne sera dupe. Ce n'est pas idéologie qui les départagera ; ils seront élus ou battus sur des critères très précis : compétence, sérieux, crédibilité, taux de réussite...

Et le vainqueur se gardera bien de confisquer le pouvoir ou de faire preuve d'arrogance. S'il déçoit, s'il échoue, s'il ne parvient pas à enrayer le chômage, par exemple, ou l'inflation, il sera sanctionné. L'alternance sera même plus fréquente qu'auparavant.

Ce passage d'une « ère bipolaire » à une ère plus ouverte, d'une guerre civile froide à une détente idéologique peut être pourtant compromis par l'émergence d'un nouveau problème. Il porte sur l'identité culturelle de la France.

La faille

Le débat est né d'une équation explosive. 4 millions 500 000 immigrés + chômage = Débat sur « l'Autre », « l'Étranger ».

Il est plus dangereux que la controverse sur les nationalisations ou le pouvoir d'achat. Parce qu'il fait appel à la passion et à l'irrationnel. Parce qu'il est mené par un homme redoutable : Jean-Marie Le Pen. Le chef du Front national n'existait pas politiquement, ou si peu, il y a quatre ans à peine. Il « pèse » aujourd'hui près de 10 % des électeurs, autant que le parti communiste, et devance les autres partis dans certaines régions.

Son succès est tel que les modérés de droite et de gauche, d'abord agacés et déroutés, tentent aujourd'hui de le détourner à leur profit.

Les premiers en reprenant certains thèmes du Front national sur l'immigration, les seconds en agitant systématiquement l'extrême droite comme un épouvantail. Ce qui ne les empêche pas de lui offrir l'hospitalité au Palais-Bourbon, grâce à la proportionnelle.

Ils commettent tous une erreur. D'abord parce qu'ils tombent dans le piège tendu par Jean-Marie Le Pen. En s'engageant dans ce débat, ils vont involontairement sur son terrain et alimentent son fonds de commerce, déjà florissant.

Ensuite parce qu'ils risquent de faire souffrir toute une génération de jeunes Français d'origine étrangère, d'origine maghrébine pour être clair. Étrangers en France. Étrangers au Maghreb. Donc paumés. Donc désespérés.

Enfin, et surtout, parce que ce débat sur l'immigration n'est pas circonscrit à la classe politique. Il divise la société même, affecte les relations humaines. La mèche s'est glissée partout. Elle peut tout faire exploser.

Ils ne doivent pas éluder pour autant les problèmes que soulève la présence d'une forte minorité étrangère en France. Comment rendre la cohabitation plus paisible dans les cités HLM de Marseille ou de Lyon par exemple ? Comment refouler les clandestins qui parviennent à entrer ? Comment favoriser l'intégration de ceux qui souhaitent rester ? Voilà les questions auxquelles le gouvernement de demain, quel qu'il soit, devra répondre. S'il tarde, Jean-Marie Le Pen se fera un plaisir d'exploiter cette carence.

Il partira de nouveau en croisade contre les « envahisseurs ». Il aura même une belle tribune pour lancer sa campagne, celle de l'Assemblée nationale.

Cruel dilemme pour ses futurs collègues. Ou bien ils se déchirent à belles dents sur la « question immigrée » et ruinent les acquis fragiles de l'année 1985. Ou bien ils l'abordent avec sang-froid et sagesse et ils épargnent à la France une nouvelle guerre de religions.

Paul Amar