Épilogue surprenant. Cette énigme, qui a intéressé, passionné ou irrité le pays tout entier, laissera finalement peu de traces.

IVe ou VIe République ?

En revanche, le changement de mode de scrutin, le troisième feuilleton de l'année, qui a laissé les Français complètement indifférents, aura des répercussions importantes, inattendues, sur la vie politique du pays.

Le 16 mars 1986, les Français désigneront leurs députés et conseillers généraux à la proportionnelle. La plupart d'entre eux voteront de cette manière pour la première fois. Ils seront sans doute désorientés, mais pas surpris. Le candidat François Mitterrand avait promis de modifier le mode de scrutin. Promesse tenue, malgré l'hostilité farouche de l'opposition... et de Michel Rocard qui présente sa démission le 4 avril, en pleine nuit.

Les adversaires de la proportionnelle redoutent de voir la Ve République sombrer dans le jeu des partis et l'instabilité. Ils mettent en garde le président de la République contre ce danger. Mais François Mitterrand, qui a pourtant connu les faiblesses et la fragilité de la IVe République, tient bon. Il fait approuver sa réforme par les députés socialistes. Son argument : établir une plus grande justice en permettant à tous les partis d'être représentés à l'Assemblée nationale.

Le chef de l'État a sans doute une autre raison de le faire, inavouée. Peut-être espère-t-il susciter de nouveaux reclassements à l'Assemblée nationale, autrement dit de nouvelles alliances que le scrutin majoritaire à deux tours n'autorisait pas.

L'ancien scrutin obligeait en effet les partis à se déterminer clairement avant même l'élection et à s'allier, entre les deux tours, contre leur gré quelquefois. La règle du désistement a ainsi contraint les socialistes à s'associer, sous la Ve République, avec les communistes, malgré ou avec des arrière-pensées, malgré ou avec des rancœurs et des rancunes.

Les habitudes étaient telles, « l'accoutumance » à l'union était telle que François Mitterrand a cru devoir former un gouvernement d'Union de la gauche en 1981. Le PS pouvait pourtant gouverner sans le PC. Il avait la majorité au Palais-Bourbon.

Aujourd'hui la situation est différente. Le miracle de 1981 ne se reproduira sans doute pas. La rupture avec les communistes incite donc les socialistes « à regarder ailleurs »... S'ils veulent à nouveau gouverner demain, ils devront trouver d'autres partenaires ; la proportionnelle peut les y aider...

Elle a d'ailleurs produit, avant même le 16 mars 1986, ses premiers effets, positifs ou pervers, l'avenir le dira. Les partis ont repris leur liberté. La constitution laborieuse des listes l'a montré. Les hommes politiques aussi.

Le trop-plein

La proportionnelle leur a ôté, dans une certaine mesure, leurs derniers complexes. Ils ne se sentent plus prisonniers d'un camp, d'une alliance. Alors ils s'expriment sans réticence, n'hésitent pas à contredire leurs propres chefs, leurs propres amis, forment des clans ou créent des clubs... Le nombre de féodalités ou de baronnies augmente. Celui des candidats à l'élection présidentielle aussi, sous l'œil amusé ou inquiet de François Mitterrand.

La compétition est si rude qu'ils se dépensent tous, sans compter, pour tenter de se distinguer, de se singulariser. Ne voit-on pas ainsi le Premier ministre désapprouver publiquement une initiative prise par le chef de l'État ? Le 4 décembre, François Mitterrand reçoit le général polonais Jaruzelski. Laurent Fabius n'était pas informé. Il est aussi « troublé » que la plupart des Français ; il le dit explicitement à l'Assemblée nationale devant des députés ébahis.

Va-t-il démissionner ? Non... François Mitterrand lui accorde même son pardon et lui renouvelle sa confiance. Mais ses mises au point répétées ne dissipent pas tout à fait le malentendu.

C'est l'un des épisodes les plus étranges de l'année 1985. Il crée une certaine confusion et permet d'imaginer sans difficulté le climat qui régnera après l'élection législative, quel que soit le résultat :
– s'il n'y a pas une majorité nette à l'Assemblée nationale, le président de la République sera intouchable, mais le pays risque d'être ingouvernable. Les majorités se feront et se déferont comme aux plus beaux jours de la IVe République ;
– si des partis comme le RPR ou l'UDF parviennent au contraire à former une majorité puissante et cohérente, ils engageront une épreuve de force avec le chef de l'État, qui dispose tout de même de quelques armes pour résister – grâce à la Constitution qu'il avait combattue –, par exemple la possibilité de dissoudre la nouvelle Assemblée ou de recourir au référendum, et qui n'entend pas rester « inerte ». Il le montre en relevant le défi trois mois avant le scrutin.