La bioéthique : maîtriser des pouvoirs neufs

C'est en décembre 1983 que François Mitterrand met en place le Comité national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé. « La science d'aujourd'hui prend souvent l'homme de vitesse », commente alors le président de la République. Il s'agit en somme de créer un organisme qui puisse, au moins sur le plan moral, nous éviter les mésaventures de l'apprenti sorcier. La liste des sujets soumis en deux ans à la réflexion des trente-six « sages » présidés par le professeur Jean Bernard est impressionnante : pêle-mêle, l'euthanasie, les mères porteuses et les différentes variantes de « bébés-éprouvettes », le diagnostic anténatal, les essais médicamenteux sur l'homme sain, les prélèvements d'organes et de tissus fœtaux, le génie génétique, les risques du diagnostic du Sida, les registres épidémiologiques...

Quand, en décembre 1985, se tiennent les deuxièmes Journées du Comité, chacun peut mesurer que sa création a été pleinement justifiée. Car des problèmes d'éthique se posent sans cesse aux médecins et aux biologistes – et, bien souvent, leur écho dans les médias soulève des controverses publiques. Peu avant les Journées 1985 prend place « l'affaire d'Amiens » : des médecins du centre hospitalier local ont injecté à un malade comateux, et dans un état désespéré, une importante quantité de sang par voie intraosseuse, pour étudier cette technique de transfusion. Dans ce cas précis, l'acte ne présentant pas d'intérêt pour le malade et pouvant avoir été très douloureux malgré le coma, les premières réactions ont été réprobatrices. Régulièrement, de tels épisodes viennent rappeler la nécessité d'une nouvelle morale de la médecine et de la biologie. Jadis, le médecin pouvait n'avoir comme guide éthique que le serment d'Hippocrate. Aujourd'hui, le premier venu des praticiens peut être confronté à des problèmes où le double respect de la personne humaine et de la science, prôné par Jean Bernard, paraît difficile à préserver.

Devant l'exigence d'une régulation et la crainte d'une réglementation excessive, bridant un exercice réclamant initiative et prise de responsabilité, il était logique de chercher à développer une éthique, une morale, plutôt qu'un système contraignant de lois et de règles administratives. Le Comité national d'éthique ne formule d'ailleurs que des recommandations et non des exigences, « en amont », selon Jean Bernard, des lois et de la déontologie. Et son action trouve d'ailleurs à s'exercer « en amont » même de la vie.

La bombe-pilule

Il est fort possible que l'histoire retienne, comme inventions principales du xxe siècle, la bombe atomique et la pilule anticonceptionnelle. La première a bouleversé les rapports entre les nations, la seconde a profondément modifié le fonctionnement des sociétés qui y ont accès. Malheureusement, si efficace qu'elle soit, elle n'a pu résoudre (pour l'instant ?) le problème éthique de l'avortement. Déjà, en 1978, une enquête – la dernière du genre – montrait que 96 % des femmes de 20 à 44 ans ne souhaitant pas procréer utilisaient une méthode contraceptive. Celle-ci était de plus en plus souvent une méthode moderne : stérilet ou, surtout, pilule.

Pourtant, il semble que la consommation de la pilule ait atteint un palier, et des journaux féminins se sont fait l'écho d'un sentiment « d'esclavage » lié à sa prise quotidienne chez certaines jeunes femmes. Un sentiment qui explique peut-être en partie que l'avortement soit loin d'avoir disparu.

La loi sur l'IVG, l'interruption volontaire de grossesse, a été considérée par Jean Bernard comme « périmée à peine votée » – et ce, malgré sa confirmation en 1979 après le vote de 1975. Elle aura cependant permis de réduire à un chiffre très faible le nombre de femmes françaises allant demander un avortement à l'étranger, et à presque zéro le nombre de décès liés à l'avortement. Par ailleurs, la loi n'a pas provoqué l'inflation d'IVG redoutée par certains, même s'il est bon de demeurer attentif et d'informer les jeunes pour éviter toute dérive.