Pourtant, cette tempête ne saurait dissimuler la profonde mutation en cours. Au prix d'un chômage qui pourrait dépasser les 13 % de la population active, Mme Thatcher continue de réduire l'inflation, tout en soulevant l'expansion du pays. Mais, en raison de la demande, les produits manufacturés conservent un déficit sensible, dû aussi au redéploiement de pays entiers de l'industrie vers les secteurs porteurs de l'électronique, des technologies, et au développement des services, qui couvrent désormais plus de 60 % des emplois.

Fidèle à son programme, Mme Thatcher continue à privatiser des entreprises publiques, ce qui constitue la mutation la plus profonde jamais intervenue en Grande-Bretagne depuis les nationalisations du travailliste Clément Attlee, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La mise sur le marché des actions dans ces sociétés connaît un véritable triomphe, comme ce fut le cas avec Jaguar et British Telecom, dont 15 % seulement des actions ont été offertes au public.

Pour 1985, comme d'autres pays européens, la Grande-Bretagne fait figurer dans son budget une réduction des impôts, légère il est vrai, qui se concilie avec la volonté de continuité et de stabilité.

La mesure la plus impopulaire prise par Mme Thatcher en 1984 reste... l'annonce de la disparition prochaine des billets d'une livre, auxquels les Britanniques sont très attachés : il faudra du temps pour que la pièce d'une livre trouve sa place dans le porte-monnaie des Anglais.

Plusieurs affaires déclenchent des protestations

D'autres affaires intérieures auront également donné du fil à retordre à la Dame de fer. D'abord, en février, elle est accusée d'avoir aidé son fils Mark, 30 ans, à obtenir un fructueux contrat dans le sultanat d'Oman, pour le compte de la société de construction britannique Cementation International dont il était consultant. Ce pseudoscandale alimente la chronique durant quelques semaines, puis tombe aux oubliettes.

Ensuite, il y a l'affaire de Cheltenham, centre ultrasecret d'écoutes et de communication, dont le personnel, pour « raisons de sécurité », se voit interdire la possibilité d'appartenir à un syndicat. Pour prix de ce renoncement à leurs droits syndicaux, le gouvernement — sous les tollés de l'opposition — offre à chacun des 7 000 employés du centre une prime de 1 000 livres. Plus de 6 500 l'acceptent, mais les autres se lancent dans une longue bataille juridique contre le pouvoir en place. En juillet, la Haute Cour invalide la décision gouvernementale, mais, un mois plus tard, la Cour d'appel annule le verdict précédent et donne raison à Mme Thatcher. Les syndicalistes comptent maintenant porter le dossier devant la Chambre des lords et la Cour européenne des droits de l'homme...

Enfin, il y a la réforme des collectivités locales. À la Chambre des communes, comme devant la Chambre des lords, le projet du gouvernement reçoit un accueil pour le moins mitigé avant d'être adopté. Dans son souci de resserrer les dépenses publiques, le pouvoir veut non pas tant réduire ses subventions aux collectivités locales (qui ont d'énormes obligations en matière d'enseignement, de sécurité publique, de logement, de santé, etc.) que réformer le système des impôts communaux et de la taxation des sols, en intervenant directement. Le gouvernement publie ainsi en juillet une liste de 18 collectivités locales trop dépensières, qui devront diminuer leur budget et réduire les impôts locaux. Or, 16 d'entre elles sont travaillistes ! La grogne du Labour Party est d'autant plus vive que Margaret Thatcher a déjà décidé de supprimer en 1986 le conseil du Grand Londres et six autres conseils métropolitains (Manchester, Liverpool, Birmingham, Sheffield, Leeds et Newcastle), qui font partie des bastions travaillistes. Pour le gouvernement, ces « supermunicipalités » font double emploi avec les structures existantes, elles sont dispendieuses et bureaucratiques. En 1985, leurs conseillers élus seront remplacés par d'autres nommés par les conseils d'arrondissement pour assurer la transition, avant l'abolition définitive dans deux ans. Le pouvoir ne pécherait-il pas par excès de centralisme ?

Madame Thatcher cible de l'IRA

Le 12 octobre, à 3 h du matin, une bombe de forte puissance éventre littéralement le Grand Hotel de Brighton où logent Mme Thatcher et la plupart de ses ministres, venus assister au congrès annuel du parti conservateur. L'IRA provisoire revendique cet attentat sans précédent, qui aurait pu décapiter le gouvernement britannique. Par miracle, Mme Thatcher en sort indemne. Mais 5 personnes trouveront la mort dans l'explosion et une trentaine seront blessées. Ce jour-là, à Brighton, devait justement avoir lieu un débat sur l'Ulster, avec le nouveau secrétaire d'État à l'Irlande du Nord, Douglas Hurd, 54 ans, diplomate de formation, nommé le 10 septembre à ce poste, en remplacement de James Prior, démissionnaire.