Aussi le scepticisme et la circonspection se mêlaient-ils à la joie que les Polonais éprouvèrent à l'annonce de l'amnistie. Cette clémence bénéfique et tant attendue n'était peut-être qu'une mesure tactique et temporaire, en prélude au nouveau chapitre qui s'ouvrait dans l'histoire de la Pologne de l'après-guerre. Un nouveau chapitre où l'on retrouvait, cependant, tous les acteurs des épisodes précédents : le pouvoir, l'Église et l'opposition, réunis par une crise ayant atteint autant l'économie que les consciences, au sein de la plus populeuse et de la plus vaste démocratie populaire d'Europe, qui était la seule, aussi, à connaître — expression du présent ou présage du futur ? — une croissance remarquée de sa démographie.

Bref, si l'amnistie sanctionnait, comme les dirigeants polonais voulaient le laisser entendre, les progrès de la politique de normalisation, il s'agissait d'une normalisation particulière, distincte, en tout cas, de celle qui fut pratiquée en Tchécoslovaquie à partir de 1968, même si les objectifs du général Jaruzelski étaient, au départ, identiques à ceux de Gustav Husak. La spécificité polonaise devait apparaître encore mieux dans l'horrible assassinat du père Popieluszko : pour la première fois dans l'histoire des démocraties populaires, un ministre de l'Intérieur mettait en cause ses propres services.

Dissonances et polémiques

Ce n'est, en tout cas, pas à Prague ou à Varsovie que l'on a pu noter une dissonance avec Moscou, dans la vaste campagne contre les « revenchards » de la RFA, déclenchée par les Soviétiques au printemps et qui culmina durant l'été, au point de contraindre les leaders est-allemand et bulgare, Erich Honecker et Todor Jivkov, à reporter leur visite à Bonn. La presse polonaise et tchécoslovaque servit même de porte-voix à leur puissant voisin. C'était elle qui rappelait à la République fédérale allemande que celle-ci ne pouvait faire oublier sa responsabilité dans l'implantation des missiles de l'OTAN et qui mettait en garde le camp socialiste contre les tendances « nationalistes » de la politique pratiquée par Bonn à l'égard de l'Est.

Rude Pravo, l'organe du PC tchécoslovaque, dénonçait même ceux qui dans le bloc soviétique songeaient à se démarquer en politique étrangère. Il visait, sans les nommer, l'Allemagne de l'Est et la Hongrie : la première, parce qu'elle entendait poursuivre ses relations privilégiées avec la RFA, en dépit de la glaciation des relations est-ouest décrétée par Moscou ; la deuxième, parce qu'elle soutenait la conception d'Erich Honecker, pour des raisons égoïstes : l'ouverture à l'Ouest étant essentielle à son économie.

Pendant des semaines, la polémique se poursuivit à mots couverts. Puis elle baissa de ton. On vit Nepszava, le quotidien des syndicats hongrois qui avait soutenu le dialogue inter-allemand, admettre le bien-fondé des appréhensions soviétiques. Il le faisait visiblement à contrecœur, puisqu'il soutenait également que « le développement favorable des rapports entre les deux États allemands était suivi avec satisfaction en Europe et dans le monde ». Mais Budapest s'inclinait devant la volonté du Kremlin, comme allait le faire Berlin-Est. Les réticences hongroises et allemandes à suivre la politique impériale de l'Union soviétique ne s'apparentaient pas à des actes de dissidence. Mais elles témoignaient du poids et de la complexité de l'Europe de l'Est avec lesquels le Kremlin devait compter.

Kosta Christitch

Grande-Bretagne

Les vents contraires

C'est le lundi 12 mars que commence la grève des mineurs, la plus longue de l'histoire britannique. Deux hommes, deux conceptions s'affrontent ; d'un côté, Arthur Scargill, 45 ans, leader du syndicat des mineurs (NUM), pour qui un puits doit continuer à être exploité tant qu'il n'est pas épuisé ; de l'autre, Ian MacGregor, 72 ans, président des charbonnages (NCB), qui considère, au contraire, qu'il faut fermer les puits non rentables.

I. MacGregor a été placé à la tête du NCB par Margaret Thatcher elle-même, avec mission de redresser les comptes des charbonnages comme il avait redressé, auparavant, ceux de British Steel. C'est un Américain d'origine écossaise, tenace et expérimenté. Son but : fermer 20 puits sur 174 et supprimer ainsi 20 000 emplois sur 182 000, pour permettre au gouvernement de diminuer ses subventions aux houillères (1,3 milliard de livres en 1983).

Le roi Arthur

A. Scargill, lui, préside le NUM depuis 1981 et rêve de refaire à la Dame de fer le tour que les mineurs avaient joué en 1974 à Edward Heath en provoquant sa chute. C'est un marxiste convaincu, un admirateur du Kremlin, hostile au syndicat polonais Solidarnosc, un orateur au talent ravageur qui surnomme Mme Thatcher « la blonde plutonium », le président Reagan « Ronald Ray-Gun » et qui voit en I. MacGregor un « boucher gérontocrate ».