Cet irrédentisme affaiblit la jeune démocratie, qui craint toujours une intervention des militaires. C'est pourquoi le roi Juan Carlos, dans son discours traditionnel aux forces armées, le jour de l'Épiphanie, recommande-t-il : « Il n'y a pas d'Espagne sans liberté et il n'y a pas de liberté sans armée. »

La persistance du terrorisme affecte surtout l'autorité et l'action du gouvernement de la Communauté autonome basque, en place depuis 1980, et dans lequel le Parti nationaliste basque (PNV), majoritaire, doit tenir compte des exigences de Herri Batasuna, le bras politique de l'ETA, dont un leader important, Xanti Brouard, sera assassiné le 20 novembre.

Grave incident naval

Un événement aussi malheureux que stupide va envenimer les relations entre la France et le Pays basque, suivi par l'Espagne tout entière : le 7 mars, la marine nationale canonne deux chalutiers basques qui péchaient dans les eaux territoriales françaises du golfe de Gascogne. Neuf marins sont blessés, dont deux grièvement. Sans doute les pêcheurs basques transgressaient-ils depuis trop longtemps les lois internationales (95 infractions en 1983), mais la brutalité de la réaction française va déchaîner l'opinion espagnole : les retards de l'adhésion de l'Espagne à la CEE, l'« hospitalité offerte aux terroristes », les guerres napoléoniennes, tous les vieux contentieux accumulés par l'histoire seront exhumés à cette occasion.

Une visite de Pierre Mauroy à Madrid, le 10 mars, n'apaise nullement les passions. Tandis qu'au Pays basque les manifestations de protestation se succèdent, une douzaine de camions immatriculés en France sont incendiés, et l'ETA met à profit ce climat pour menacer Paris de représailles si une attitude conciliante n'est pas adoptée à l'égard des « réfugiés politiques basques en Euskadi-Nord ».

Lune de miel

C'est au cours d'une courte visite dans la capitale espagnole, le 14 juin, que Gaston Defferre, ministre de l'Intérieur, va fixer la nouvelle politique française en ce qui concerne les membres de l'ETA : « Un terroriste n'est pas un réfugié politique. Ceux qui choisissent la violence doivent répondre d'elle devant la loi », annonce-t-il à ses interlocuteurs, ravis de ce changement d'attitude.

Dès lors, les choses vont aller très vite en dépit d'une déclaration de guerre de l'ETA (13 juillet), des plasticages de poids lourds français à Burgos, d'attentats de toutes sortes des deux côtés de la frontière. Le 6 août, le nouveau ministre de l'Intérieur, Pierre Joxe, réaffirme à Madrid la politique de son prédécesseur.

Et, le 9 août, la cour d'appel de Pau donne un avis favorable à la demande d'extradition, formulée par le gouvernement espagnol, de quatre Basques membres présumés de l'ETA, provoquant une nouvelle campagne contre les intérêts français en Espagne, des manifestations de rue et une grève de la faim (à partir du 9 août) de huit Basques internés à Fresnes.

Le Conseil d'État ayant donné son feu vert, José Manuel Martinez-Bestegui, Francisco Xavier Lujambio-Galdeanu et José Garcia-Ramirez sont expulsés en Espagne, le 26 septembre. La satisfaction du gouvernement espagnol, qui a pris l'engagement de bien traiter les prisonniers, contraste avec la colère qui éclate dans les provinces du Nord.

Des terroristes acculés

24 heures après l'extradition, trois gardes civils étaient tués et sept autres blessés par l'explosion d'une bombe dans un village près de Vitoria, et l'ETA diffusait un communiqué à Bilbao proclamant : « Nous n'allons pas rester inactifs tant que le gouvernement français, le gouvernement espagnol et le GAL se répartissent les vies des réfugiés basques. »

De violentes manifestations se déroulèrent dans les villages des trois provinces, mais elles firent long feu. Il apparaissait que le premier mouvement d'émotion passé, la raison reprenait ses droits.

Sans doute l'explication du gouvernement Fabius, indiquant que l'existence d'une démocratie en Espagne ne justifiait plus le terrorisme, a-t-elle fait réfléchir plus d'un. Mais aussi la thèse selon laquelle l'ETA serait à bout de souffle n'est peut être pas dénuée de fondement.