Le Japon, encore plus dense que l'Europe, pourrait présenter des analogies avec elle. Il est aujourd'hui dans la situation provisoirement merveilleuse d'avoir encore relativement peu de vieillards, mais aussi relativement peu de jeunes. Le vieillissement est inéluctable, mais il n'atteindra pas les niveaux européens avant le xxie siècle. Le Japon a pu ainsi procéder aux investissements qui lui ont permis d'éviter de recourir à une main-d'œuvre immigrée, choix auquel l'Europe a été contrainte sous des formes variées.

C'est un immense avantage, mais c'est aussi un inconvénient, d'avoir été un pionnier. L'Angleterre le sait bien pour l'industrie, l'Europe l'éprouve pour la démographie. La France, qui, en Europe, a été elle-même un « pionnier » du vieillissement, a essayé en 1984 de convaincre ses partenaires des inconvénients de cette situation. Mais faute d'avoir bien analysé les causes de leur réticence, liée à leur densité en général, elle ne les a guère convaincus. Il est vrai qu'une politique démographique européenne, qui passe par une gestion coordonnée des fiscalités nationales, locales ou sociales, et de l'immigration, n'est pas facile à concevoir.

Étrangers : vérités et contrevérités

L'ampleur des migrations dans les pays en voie de développement et entre les pays du Nord et du Sud a provoqué un cri d'alarme à Mexico. De fait, en Europe, la présence de travailleurs étrangers est vraiment importante en France (plus de 1,5 million) et en RFA (plus de 2 millions), mais aussi en Suisse, en Suède, aux Pays-Bas et en Autriche.

En France, l'estimation de la population étrangère — dont un tiers seulement est composé de travailleurs — varie selon les sources. Selon le ministère de l'Intérieur, 4 470 495 étrangers vivraient sur le territoire au 1er janvier 1984, contre 4 459 000 en 1982 et 4 223 000 en 1981. Sans remettre en cause l'augmentation qui s'est produite entre 1981 et 1984, l'INSEE estime que les chiffres du ministère de l'Intérieur sont surestimés de plus de 15 % et ramène donc le nombre d'étrangers vivant en France à 3 680 000.

Au dernier recensement, réalisé en 1982, dont certains résultats ont été connus en 1984, la population étrangère stagne depuis une dizaine d'années et représente 6,8 % de la population totale. Ce pourcentage est le plus élevé de tous ceux enregistrés lors des recensements effectués depuis la Libération. Mais ce taux est de l'ordre de celui de 1931 (6,6 %), époque des arrivées massives d'étrangers venus des pays d'Europe de l'Est et notamment de l'Allemagne. On constate même que, depuis 1975, leur nombre ne s'est accru que de 7 %, alors qu'entre 1968 et 1975 il avait augmenté de 31 %.

En 1954, quatre étrangers sur cinq étaient d'origine européenne, en 1982, à peine 1 sur 2 l'est. La part des nationalités du Maghreb et de l'Afrique a triplé en trente ans et atteint 43 %. Le pourcentage des Asiatiques (290 000, dont 105 000 de l'ancienne Indochine) a considérablement augmenté. La communauté portugaise reste la plus nombreuse, mais l'ensemble des Maghrébins lui est supérieure de près de 80 % : la légère diminution d'Algériens est compensée par l'accroissement des Tunisiens et surtout des Marocains.

Un étranger sur cinq ne résidait pas en France en 1975. Parmi eux, 20 % sont des enfants nés depuis cette date, dont 93 500 nés en France. Au total, un étranger sur trois a moins de 20 ans, un sur deux moins de 30 ans. Les nouveaux immigrants comptent presque autant de femmes (48 %) que d'hommes : cette proportion était de 38 % seulement en 1968, en dépit d'une immigration familiale importante.

La population active étrangère représente 6,6 % de l'ensemble des actifs, contre 7,5 % en 1975. Plus de 6 étrangers sur 10 sont ouvriers ou salariés dans le bâtiment et le génie civil. Habitant, pour la plupart d'entre eux, en milieu urbain, ils sont installés surtout dans la région parisienne et les régions Rhône-Alpes et Provence-Côte d'Azur. Selon l'INSEE, entre 1979 et 1983, le nombre de salariés étrangers a baissé dans l'industrie. En revanche, dans l'hôtellerie et le commerce, le nombre de femmes étrangères s'est accru de près de 28 %. Les gains des salariés étrangers sont en moyenne moins élevés que ceux des Français : l'écart atteint 7,5 % dans l'industrie.

Michel Louis Levy