Population

Démographie

Espoirs déçus à Mexico

La conférence de Bucarest, en 1974, avait été une première. Pour la première fois, l'ensemble des gouvernements s'intéressaient officiellement aux effectifs de l'humanité et à leur évolution. Les débats avaient été vifs, passionnés, et avaient abouti à amender sensiblement un texte d'inspiration néo-malthusienne dans un sens tiers-mondiste : la baisse de la fécondité n'était pas une condition nécessaire du développement, c'était le développement au contraire qui favorisait la baisse de la fécondité. Pour faire le point, les Nations unies ont décidé de tenir une nouvelle Conférence internationale sur la population, qui s'est réunie à Mexico du 6 au 14 août 1984. Beaucoup d'espoirs avaient été mis dans cette réunion.

Convergences

Pour les experts de l'ONU, il s'agissait de faire constater solennellement le consensus progressivement établi depuis Bucarest : la baisse de la fécondité est une composante du développement sanitaire et le développement sanitaire est lui-même inséparable du développement économique et culturel. Pour les fonctionnaires internationaux, et spécifiquement pour le FNUAP (Fonds des Nations unies pour les activités en matière de population) et son dynamique directeur, le Philippin Rafaël Salas, il s'agissait de valoriser leur action, de faire reconnaître les résultats acquis, de manière à obtenir des moyens supplémentaires et des responsabilités accrues. Pour les États enfin, il s'agissait d'obtenir une tribune à l'intention de leur propre opinion publique, pour justifier leur ligne politique : côté pays en développement, demande d'aide accrue ou rejet de l'aide extérieure selon le cas ; côté pays développés, offre plus ou moins sincère d'aides bilatérales ou multilatérales.

Quant à la France, elle désirait faire pièce à l'institution à la fois multilatérale et néo-malthusienne qu'est le FNUAP (Fonds des Nations unies pour les activités en matière de population), en affirmant la souveraineté de chaque État quant à ses choix démographiques et quant à l'utilisation de son aide, et, accessoirement, faire ratifier par ses partenaires européens son orientation traditionnellement nataliste, réendossée par le gouvernement socialiste après deux ans de fidélité aux idées contraires professées dans l'opposition.

Division et impuissance

Tous ces espoirs ont été déçus. La conférence a donné un spectacle de division et d'impuissance en s'engluant dans le dossier spécifique des implantations israéliennes en Cisjordanie, comme si celles-ci étaient le seul problème démographique de la planète. Le FNUAP a été menacé par les États-Unis d'une sensible diminution de son financement. Les déclarations des États se sont étouffées mutuellement sans qu'aucune négociation ne se noue véritablement. La France, prise à contre-pied par le revirement américain, s'est demandée si elle n'allait pas réviser elle-même sa position sur le FNUAP, et, en attendant, n'a guère attiré l'attention sur son orientation nataliste.

Bien sûr, on peut faire une lecture positive de l'événement. Après tout, la conférence a adopté par consensus une Déclaration de Mexico sur la population et le développement et 88 recommandations, dans lesquelles chacun peut trouver matière à satisfaction. Le poids des questions relatives à la fécondité s'est réduit par rapport à Bucarest, celui des questions liées aux migrations internationales et à l'urbanisation effrénée, dont la ville même de Mexico est un exemple symbolique, s'est accru. L'information démographique s'est très sensiblement améliorée depuis dix ans. Mais tout cela était acquis sans la conférence, si bien qu'on peut se demander s'il y aura, en 1994, une troisième Conférence sur la population.

Les institutions permanentes, et notamment la Commission de la population, que les Nations unies réunissent chaque année en janvier, ne suffisent-elles pas ? Surtout, cela a-t-il un sens de consacrer une conférence à la seule démographie ? Quand les riches trouvent que les pauvres ont trop d'enfants, ceux-ci ont beau jeu de répondre que la surconsommation des riches pose plus de problèmes que la surpopulation des pauvres et qu'une meilleure affectation des ressources, en commençant par l'armement, est la première chose à faire ; la seconde serait peut-être d'accueillir plus largement les émigrés C'est en fait toute la question du nouvel ordre économique mondial qui est posée. D'autres conférences et institutions existent pour en parler, le FMI, la Banque mondiale, la CNUCED...