Ils sont 4 600, regroupés au sein de la très puissante Commercial Farmers Union (CFU), et installés sur 14,2 millions d'ha, soit 38 % de la surface cultivable du pays. Ils emploient 255 000 travailleurs agricoles et apportent au Zimbabwe 90 % de sa production agricole et 47 % de ses recettes d'exportation. Impossible de morceler leurs domaines ou de les nationaliser sans perturber gravement la production, car le Zimbabwe manque cruellement de cadres capables de diriger ces exploitations qui sont mécanisées à l'extrême. Dès lors, il est inévitable que se produisent blocages et tensions.

Qu'on le veuille ou non, les scènes de violence dont le pays a été, en 1983, le théâtre, recouvrent cette césure plus profonde entre les déçus de l'indépendance et ceux qui, d'une manière ou d'une autre, en ont profité.

Après deux années heureuses, sans tensions excessives ni dérapages incontrôlés, le miracle zimbabwéen s'est mis à hoqueter avant de sombrer dans la violence, les meurtres et la répression.

Répression et normalisation

Après l'éviction du gouvernement de leur mdala (père) Joshua Nkomo, 3 700 anciens guérilleros de la ZAPU (Zimbabwe African People's Union) avaient pris le maquis dans la brousse du Matabeleland, en avril 1982. Pillages, assassinats et enlèvements s'étaient succédé pendant huit mois. Robert Mugabe prenait, en décembre, la décision, qui allait se révéler lourde de conséquences, d'envoyer dans le Matabeleland la célèbre cinquième brigade. Cette unité d'élite de 5 000 hommes — tous issus, comme Mugabe, de l'ethnie shona — fut donc expédiée en plein pays Ndebele pour écraser la révolte et, surtout, la couper de ses bases populaires. Y a-t-elle réussi ? Sans doute, mais à quel prix ?

Retirée fin juillet 1983, après sept mois, elle laisse derrière elle près de 2 000 morts et une province littéralement sinistrée. Une tache indélébile dans l'histoire du Zimbabwe indépendant. Face à ce tourbillon de violence, Joshua Nkomo a dû, le 13 mars 1983, choisir l'exil à Londres. Il en est revenu le 20 août, mais son parti, la ZAPU, est aujourd'hui anéanti. La plupart de ses dirigeants locaux ont été arrêtés ou éliminés.

La voie est donc ouverte pour la dernière étape de la normalisation, la création du parti unique, qui fera du Zimbabwe un pays africain comme beaucoup d'autres, à cette différence près qu'y vivent encore 150 000 Blancs. Présentée dans les cercles dirigeants comme une nécessité nationale — s'unir, de gré ou de force, face aux pressions politiques et économiques de plus en plus vives de l'Afrique du Sud voisine — cette éventualité, tout l'indique, est imminente. Les illusions sont perdues. Le « modèle » zimbabwéen était-il autre chose qu'un mirage ?

François Soudan