La difficulté pour l'Europe de développer son identité apparaît aussi dans les relations délicates qu'elle entretient avec les autres pays industriels et dans son incapacité de prendre clairement position à l'égard des nations qui ont sollicité leur adhésion à la Communauté.

L'invasion nippone

La situation est devenue critique avec le Japon, malgré l'espoir d'une certaine détente. L'aspect le plus spectaculaire s'est incarné dans la décision française de faire dédouaner à Poitiers les magnétoscopes importés de l'archipel, moyen imagé de ralentir les achats de façon à promouvoir une industrie nationale. Cette mesure est rapportée à la suite des engagements pris par le Japon d'ouvrir davantage ses frontières et de freiner ses exportations.

Il est vrai que le déficit communautaire ne cesse de progresser avec ce pays : de 8 millions de dollars en 1963, il augmente d'abord lentement jusqu'à 500 millions en 1970, puis c'est l'escalade avec 10 milliards de dollars en 1982, tandis qu'un nouveau record va s'inscrire en 1983 avec 12 milliards. Pourtant, le Japon annonce certaines mesures : depuis le 1er avril, il applique une série de réductions douanières pour les produits industriels — notamment les tracteurs et autres machines agricoles —, ainsi que pour des articles agro-alimentaires, comme les biscuits, le chocolat, le cognac et les cigarettes. Par ailleurs, les ventes de dix produits importants sont ralenties : voitures automobiles, camionnettes, motocyclettes, magnétoscopes, appareils de télévision, machines-outils à commandes numériques, équipements de haute-fidélité, montres à quartz. Enfin, la coopération technique doit être renforcée avec la promesse d'un accord entre les Dix et le Japon dans le but de favoriser le développement du tiers monde, grâce à des actions conjointes.

Toutefois, au cours du Conseil du 17 octobre, les ministres des Affaires étrangères témoignent de leur déception devant les résultats obtenus et demandent à la Commission de reprendre les conversations avec les dirigeants japonais dans l'espoir d'aboutir à une reconduction des engagements en 1984, sur des bases satisfaisantes pour la CEE.

Avec les États-Unis, le contentieux est toujours aussi lourd, en raison, là aussi, de l'ampleur du déficit communautaire, tandis que Bruxelles accuse Washington de ne rien faire pour améliorer la situation. Lors du conseil du 17 octobre, la CEE décide de prendre des mesures de rétorsion contre les États-Unis, si ces derniers n'offrent pas de compensations commerciales suffisantes en contrepartie des limitations qu'ils ont introduites aux importations européennes d'aciers spéciaux depuis le mois de juillet. Le préjudice est évalué entre 500 et 700 millions de dollars pour les Dix, pour chacune des quatre années pendant lesquelles cette mesure aura effet. La Communauté demande aux États-Unis de favoriser en contrepartie l'importation de produits sidérurgiques autres que les aciers spéciaux, de textiles et de produits chimiques.

Le dossier de l'élargissement se révèle tout aussi épineux. À Stuttgart, les chefs d'État ou de gouvernement reportent la décision au sommet d'Athènes du 6 décembre. Plus réalistes, les cinq Premiers ministres socialistes de l'Europe du Sud (France, Espagne, Portugal, Italie, Grèce), réunis à Athènes en octobre pour tenter de débloquer le dossier, espèrent que l'affaire sera tranchée au printemps 1984 sous la présidence française. Mario Soares, Premier ministre portugais, fait valoir que son pays a présenté sa candidature il y a six ans, et qu'en liant son sort à celui de l'Espagne, alors que Lisbonne n'a pas de contentieux agricole majeur avec les Dix, on pénalise son pays.

Toutefois, les ministres européens prennent, le 18 octobre, une décision susceptible de lever l'un des principaux obstacles à la poursuite des négociations sur l'élargissement. Le marché des fruits et légumes, qui date de 1972, va être réformé dans le sens d'un renforcement de l'organisation intérieure de celui-ci, qui se traduira par un concours assuré aux producteurs. Ainsi, en cas de crise, les achats de soutien interviendront plus vite qu'actuellement en cas de chute des cours et ils s'étendront à d'autres produits : les tomates, les aubergines et les abricots. Les producteurs français se voient ainsi mieux protégés, ce qu'ils souhaitaient. Mais, du même coup, l'Espagne réclame une accélération de la procédure qui doit donner à la Commission un mandat de négociation. La France n'a plus l'intention de freiner la négociation dans la mesure où elle vient d'obtenir un avantage pour ses agriculteurs. Il reste que le processus de discussions sera sans doute très long. À Paris, on estime que le régime de transition dont pourrait bénéficier l'Espagne devrait durer au moins dix ans pour permettre aux agriculteurs français de s'adapter.