Journal de l'année Édition 1982 1982Éd. 1982

C'est un beau volume qui vous donne l'envie de voyager sur cette belle Terre et l'envie de rester en tête à tête avec le Dieu de vérité. Profitons de l'occasion pour mentionner le neuvième gros volume du journal de Michel Ciry, La meilleure part. Journal d'un peintre, d'un musicien, d'un écrivain.

Souvenirs

Deux nouveaux livres de Jules Roy ont aussi la valeur d'un examen de conscience, la Saison des Za et Étranger pour mes frères. Le premier est un roman qui évoque la vie d'un homme de lettres à la Léautaud, René-Louis Doyon, et celle d'un écrivain qui est manifestement l'auteur : ce sont des souvenirs de la vie amoureuse, peut-être un peu trop encombrés par les cendres de passions charnelles refroidies. Mais dans l'autre, le jeune homme, le jeune officier, le jeune écrivain retrouvent leur stature et leurs déchirements dans nos temps déchirés. Et l'on pourrait multiplier les exemples d'écrivains qui dédaignent l'imagination pour la mémoire, citer Michelle Maurois et son Encre dans le sang, évocation émue d'une enfance à l'ombre d'un écrivain important, ou même cette Enfance sicilienne, où Edmonde Charles-Roux met tout son grand talent au service de la mémoire et de la cause d'un autre.

Et il faudrait citer encore les très nombreux ouvrages qui jettent un pont entre les souvenirs et les romans, qui dissimulent à peine ce qu'ils doivent à la source des souvenirs authentiques. L'intrigue amoureuse de Belle alliance, le roman de Christine de Rivoyre, a-t-elle un fondement personnel ? Mais qui ne sent pas que ce livre est surtout écrit pour évoquer avec ferveur des Landes, pour faire sonner ce langage à mi-chemin du français et du gascon, pour dire ces paysages comme si la résine de ses pins collait encore aux doigts de la romancière. C'est un livre chaleureux. Comment séparer la part du souvenir et la part de l'invention dans le roman Anne-Marie, de l'un peu trop roublard Lucien Bodard, ou dans le pittoresque récit de voyage sur la terre et dans l'esprit de Nicolas Bouvier, Le poisson scorpion ? Avec audace dans un de ses meilleurs livres, Radio nuit, Claude Mauriac essaie d'effacer complètement la frontière entre le journal intime qu'il publie depuis longtemps et le récit où le fantastique désarçonne la réalité. Les coutures sont parfaitement invisibles et, beaucoup plus encore, on a l'impression que l'auteur, par son progrès spirituel, passe de ce qu'il appelait le temps immobile à une certaine idée de l'éternité présente. Entre tant et tant de livres qui paraissent et que nous recensons, celui-ci est peut-être le seul qui corresponde à une nécessité essentielle de la vie intérieure.

Historiques

On pourrait encore illustrer la prédominance de Mnémosyne sur ses filles en parlant de la vogue des ouvrages d'histoire et des romans historiques. Roman historique ou légendaire Le grand vizir de la nuit, de Hermary-Vieille, est une sorte d'agréable supplément parfumé et passionné aux Mille et une nuits. D'autres, comme Alain Gerber avec Le jade et l'obsidienne, Bernard Clavel avec ses Compagnons du nouveau monde, Henri Vincenot et ses Étoiles de Compostelle, Jean Raspail avec Moi, Antoine de Tonnens, roi de Patagonie, cherchent dans le passé des épisodes curieux ou significatifs pour une époque tournante comme la nôtre. L'histoire récente tient une grande place aussi dans Le grand coucher de Guy Dupré, mais c'est une histoire de potins sur l'affaire Dreyfus ou les rivalités des généraux presque inconscients de leur rôle dans la grande boucherie de 14-18. Et il est souvent difficile de démêler la part d'invention et la part de l'histoire générale ou personnelle dans le livre, modéré, de François Nourissier (L'empire des nuages) ou celui, tumultueux, de Rezvani (Testament amoureux).

Reste alors le gros bataillon des romanciers qui continuent leur carrière avec plus ou moins de talent et plus ou moins de succès, et les renforts des nouveaux venus. Il faut bien dire que le plus souvent on a bien l'impression qu'il s'agit de la continuation d'une carrière plus que de l'édification progressive d'une œuvre.

Panorama

Pour simplifier, citons d'abord ceux qui ont déjà eu un grand prix, c'est-à-dire une chance de toucher un grand public, et qui, le plus souvent hélas, n'ont pas su se l'attacher, comme si leur succès devait plus à un coup de publicité qu'à la reconnaissance d'une vraie nature d'écrivain. On a pu lire ainsi un nouveau roman de Patrick Grainville, Les forteresses noires, écrivain de tempérament qui choisit des sujets originaux, mais semble se tenir dans une zone médiane, un peu trop difficile pour le grand public, un peu trop facile pour les intellectuels ; un nouveau roman de Jacques Laurent, Les sous-ensemble flous, intelligent avec cette part de facilité ou de complaisance qui fait passer l'intelligence pour de l'astuce ou le contraire ; un nouveau roman de Claude Simon, Les Georgiques, fidèle à sa démarche difficile, et un nouveau roman de Pierre-Jean Rémy, Un voyage en hiver, fidèle à sa facilité dans l'abondance ; deux nouveaux récits de Jean Freustié (Les proches, L'entracte algérien), plus une biographie de Prosper Mérimée, témoignages d'un labeur fécond et attentif à la vérité et au métier ; un Judas de Jacques Chessex, qui va plus loin que la paraphrase de l'Évangile, jusqu'à devenir un terrible roman du sadisme ; un nouveau roman de J.-M. Roberts, L'ami de Vincent, exploration d'affaires étrangères plus que troubles. Du groupe de tous ces anciens grands lauréats, il faut peut-être détacher Camille Bourniquel et son Empire Sarkis, parce que toute son œuvre possède, en plus de la beauté de la langue, un climat personnel, une atmosphère morale volontiers un peu secrète, mais qui exprime un sentiment personnel de la vie, une nature d'homme et d'écrivain.