Journal de l'année Édition 1982 1982Éd. 1982

Sola-Cabiatti : Jacques Heers.

Poésie : Jean Tardieu.

Littérature enfantine : Luda Schnitzer.

Littérature dramatique : Jean Vauthier.

Histoire : Jean Delumeau.

Grands prix nationaux
(18 décembre 1981)

Lettres : Pierre Klossowski.

Poésie : Francis Ponge.

Histoire : Ernest Labrousse.

Tendresse et lucidité

Autre témoignage provoqué lui aussi par un décès, les Mémoires intimes. Écartons les potins, les commentaires de fouille-poubelles de l'information. Impossible pour le lecteur de bonne foi de ne pas se sentir directement en présence d'un homme, à la fois comme les autres et exceptionnel, d'un homme de bonne foi lui aussi, dont le talent de narrateur sert avec force l'évocation de la vie. Georges Simenon a été un des derniers romanciers chez lesquels l'imagination conservait sa puissance naïve de suggestion. On n'a jamais lu « Il pleut » sous sa plume sans avoir envie de relever le col de sa veste. On retrouve cette merveilleuse puissance, qui tient peut-être à un don d'extralucide, dans ce récit détaillé d'images et de portraits, et qui vient d'un homme sincère et modeste. Il s'adresse à ses enfants, comme dans de longues lettres autobiographiques destinées à se faire connaître dans la tendresse et la lucidité.

Et cela est si vrai que le style change un peu, qu'il y a une mue du chant intérieur dès qu'il en vient à parler de sa seconde femme, de celle dont il ne veut même plus écrire le prénom, se bornant à l'initiale D., comme s'il était revenu maintenant de ce qui avait commencé par un long esclavage sexuel. Le livre se termine tragiquement par l'histoire du suicide de sa fille bien-aimée et peut-être mal aimée, ou mal douée pour le profond amour. La franchise de ces admirables Mémoires intimes est-elle altérée ici, non par un souci de dissimulation, mais par un désir de se disculpter ?

Les textes de Marie-Jo qui nous sont livrés témoignent de sa sensibilité plus que de son talent d'écrivain, de comédienne. Il semble qu'il n'y ait pas chez Georges Simenon dans ce drame une faute accidentelle, un manque d'amour, mais peut-être un enchaînement plus profond qui n'engage pas sa responsabilité. Les enfants de son cœur, qu'il a créés dans des centaines de romans, sont souvent des enfants perdus ou qui se perdent à cause de leur nature plus encore que par les circonstances. Peut-être en ce siècle de fer, l'enfant de sa chair, modelée par son esprit, ne pouvait-elle pas ne pas rejoindre l'armée des paumés qui peuplent cette comédie humaine.

Légendaire

Romancier encore qui échappe au roman poétique pour essayer de s'appréhender en direct, Jean Cayrol a publié Il était une fois Jean Cayrol. Le titre indique déjà qu'il ne s'agit pas d'une vérité intime, mais d'une vérité légendaire. Le livre est un flot d'images, de comparaisons souvent suggestives ou éclairantes, de souvenirs, de regrets de n'être plus tout à fait assez jeune avec les jeunes qu'on chérit, de rêves prémonitoires peut-être. Jean Cayrol écrit trop et trop abondamment avec son étonnante verve de narrateur, de poète, de pamphlétaire, de mémorialiste, comme si son plaisir jaillissait en feu d'artifice pour retomber en fusées qui colorent un temps notre monde lazaréen. C'est un homme mal dans sa peau, qui voudrait crier pour tous les écorchés de la terre, qui l'a fait dans ses romans-fables et essaie de le faire ici avec ce qui lui reste de voix nue.

Depuis longtemps, Julien Green nous a habitués à son triple registre de romancier, de mémorialiste et de journal intimiste. Mais cette année, c'est encore au journal qu'il se consacre avec les notes d'une admirable fermeté de pensée et d'expression de La terre est si belle. Il y a là beaucoup de notes de voyage, en Turquie, au pays de Galles, en Iran, d'un grand pouvoir d'évocation, mais le voyage intérieur du pèlerin chrétien en ce monde n'est pas négligé. Julien Green en son grand âge regarde vers le ciel et considère peut-être un peu moins la Terre comme le royaume du prince de ce monde, sans oublier pour autant que celui-ci ne désarme jamais.