Journal de l'année Édition 1982 1982Éd. 1982

Est-ce encore du Nord que nous vient la lumière ? Avec Marcel Schneider, qui l'invoque dans le titre de son dernier livre, La lumière du Nord, il ne s'agit pas d'une lumière de la raison mais d'une lumière de la légende et de la sagesse. Une fois de plus, enrichissant sans rien déformer le fantastique traditionnel, et en particulier celui de son Alsace, Marcel Schneider nous conduit au-delà des apparences, non point de l'autre côté d'un miroir banal, mais de l'autre côté de ce miroir que nous avons dans le cœur et dans lequel nous croyons trop facilement distinguer notre image. On ne quitte pas la terre dans les récits de ce très bon écrivain, mais on la voit désormais en effet dans une autre lumière. Ce n'est pas du Nord, mais du Brésil, où il enseigne, que nous vient le recueil La mémoire de riz du très jeune Jean-Marie Blas de Roblès, mais on voudrait terminer en citant cet écrivain dont les curiosités sont aussi tournées vers un déchiffrement de l'univers, dont chaque nouvelle sans rien perdre de son intérêt nous dérobe et nous suggère une clé. La vraie littérature continue malgré les marchands du temple.

GARY/AJAR

Une bien curieuse affaire que cette histoire Gary-Ajar qui explose en juillet 1981, avec la publication d'un livre de Paul Pavlowitch, neveu de Romain Gary. En se suicidant, le 2 décembre 1980, Romain Gary a tué du même coup Émile Ajar, l'auteur de Gros câlin, La vie devant soi, Pseudo, et L'angoisse du roi Salomon. Quant à Paul Pavlowitch que l'on pensait justement être Émile Ajar, il a servi de couverture dans l'une des opérations de mystification les plus spectaculaires de l'histoire littéraire contemporaine. À considérer rétrospectivement cette affaire, révélée d'abord par la publication du livre de Paul Pavlowitch, L'homme que l'on croyait puis d'un court texte posthume de Romain Gary, Vie et mort d'Émile Ajar (Gallimard), on est frappé par la formidable habileté de la mise en scène. Grâce au stratagème Ajar, Romain Gary n'a-t-il pas réussi, entre autres exploits, à être le seul double lauréat du prix Goncourt (en 1956 pour Les racines du ciel, et en 1975 pour La vie devant soi) ?

Lettres étrangères

Les œuvres étrangères traduites semblent cette année portées par des ambitions plus hautes. Même les best-sellers potentiels font figure de curiosités, ne serait-ce que par le caractère significatif des destins qui s'y nouent. C'est le cas de L'hôtel blanc et de ce qui a trait à la psychanalyse, à Freud et au nazisme. Il ne s'agit pas ici d'évaluer la vraisemblance du roman de D. M. Thomas, sa rigueur doctrinale ou l'authenticité clinique du cas Lisa, l'héroïne, mais d'apprécier l'intelligence d'un constat historique ; l'œuvre de Freud, ou plus exactement le freudisme, prend désormais le visage d'une fiction rassurante. Ce n'est pas la découverte de l'inconscient qui effare, mais celle du ravin de Babi Yar, où Lisa rejoint sa mort.

« L'Histoire est un cauchemar dont j'essaie de m'éveiller » disait Joyce. Anthony Burgess donne à l'auteur d'Ulysse, ainsi qu'à Rilke, Thomas Mann, Ezra Pound et Chaplin, un rôle de figurant dans son dernier roman, Les puissances des ténèbres. Cette rocambolesque et très divertissante histoire de miracle — rien moins que providentiel dans ses effets — et de canonisation racontée par un vieil écrivain homosexuel offre ce mélange de perversité supposée et de bigoterie qui fait tout le charme des écrivains catholiques anglais, de Maugham à Greene.

Un Barthes italien

Umberto Eco a acquis une grande notoriété par ses travaux critiques d'avant-garde, L'œuvre ouverte, en particulier. Aux talents du philosophe et du linguiste il faut ajouter ceux du romancier. Le nom de la rose ne contient aucun hommage au jardinage français, mais plutôt quelque référence, ou révérence, au roman médiéval.

Les allusions érudites ou savamment fantaisistes foisonnent dans cette enquête policière, ou sa parodie, conduite par deux moines anglais du XIXe siècle, Guillaume de Baskerville et le fidèle Atson, lancés à la recherche d'un manuscrit d'Aristote sur... le rire. L'intrigue, riche en péripéties, se conclut sur l'incendie d'une magnifique bibliothèque, clin d'œil de l'auteur aux familiers de Auto-Da-Fé d'Elias Canetti.