Du côté des ténors, deux des plus grands n'ont pas, cette année, totalement convaincu. Stanley Kubrick, dans Shining, aborde pour la première fois le film d'épouvante. Avec une maîtrise éblouissante, il enchaîne une série d'images qui coupent le souffle, et dirige Jack Nicholson, écrivain raté peu à peu conduit à la folie meurtrière, d'une main de fer. Mais la perfection de sa technique ne parvient pas tout à fait à faire de cette histoire de réincarnation et de terreur sanglante autre chose qu'une réédition des récits d'horreur aux ficelles très usées...

Baroque

Woody Allen, lui, s'est une fois de plus mis en scène dans Stardust Memories, où il incarne un réalisateur en panne d'inspiration, las de ne faire que des films comiques et écartelé entre plusieurs femmes. Avec toujours beaucoup d'intelligence et d'humour. Mais, comme son héros, le cinéaste semble ici tourner un peu en rond, se pastichant lui-même avec un rien de complaisance fatiguée. Et le public lui a fait un accueil mitigé.

Martin Scorcese, en revanche, fait une démonstration éblouissante de sa parfaite maîtrise cinématographique dans Raging Bull, biographie en noir et blanc de l'ancien champion de boxe, Jake La Motta. Ce voyage au bout de la déchéance d'un homme qui avait pourtant atteint le faîte de la gloire consacre aussi l'extraordinaire Robert de Niro, qui a poussé ici le souci du perfectionnisme jusqu'à grossir de trente kilos pour incarner le boxeur déchu imbibé d'alcool. L'un des très grands films de l'année.

Aussi baroque et flamboyant que Raging Bull est sobre et rigoureux, Excalibur, de l'Anglais d'Amérique, John Boorman, grand vaincu de Cannes, raconte, après Bresson et Rohmer, mais avec, lui, un luxe de décors et de costumes qui fait parfois penser, par la recherche et la beauté des images, à Kagemusha, l'épopée légendaire des chevaliers de la Table ronde. Une somptueuse bande dessinée attachante, même si l'esthétisme l'emporte souvent sur le souffle épique.

Commercial

Le succès commercial a surtout récompensé, c'est nouveau, le comique venu d'Amérique. Un comique nouvelle vague, résolument loufoque, et, semble-t-il, curieusement apprécié davantage de ce côté-ci de l'Atlantique qu'aux États-Unis, où ses deux principaux représentants ont été des échecs. Celui, d'abord, de l'équipe d'affreux jojos d'Y a-t-il un pilote dans l'avion ?, savoureux pastiche, parfois à la limite de la franche vulgarité, des films catastrophes. Celui, aussi, de John Landis dans Blues Brothers, extravagant policier musical aux cascades automobiles spectaculaires et dont l'humour ravageur, exprimé par deux nouveaux Laurel et Hardy, John Belushi et Dan Aykroyd, s'accompagne d'une éblouissante anthologie musicale qui rassemble les grandes stars du jazz et du rock contemporains.

Les films musicaux sont, d'ailleurs, nombreux cette année. À citer en tête Fame, où Alain Parker réussit une sorte d'Entrée des artistes à l'américaine, pleine de vivacité et de charme, en nous faisant pénétrer dans l'école des apprentis chanteurs et danseurs de New York. Mais aussi deux sagas sirupeuses sur la Country music, Nashville Lady de Michael Apted et Show Bus de Jerry Shatzberg. Deux récits bien-pensants à la gloire de l'esprit de famille, qui triomphe de toutes les embûches semées, on le sait, sur le chemin difficile des stars.

Bien-pensant, le cinéma américain, cette année, l'est très souvent, avec des bonheurs divers. Dans Elephant Man, l'une des très bonnes surprises de la saison, David Lynch (auteur aussi d'Eraserhead) filme en noir et blanc le tragique destin de John Merricks, un jeune Britannique de l'époque victorienne atteint d'une difformité repoussante et qui, recueilli par un éminent chirurgien, devint, avant de mourir, la coqueluche du tout-Londres. Un film remarquable par sa gravité, son intelligente sensibilité, son message plein de finesse sur la difficulté de la tolérance envers ceux qui sont différents et par la perfection de sa technique.

Conventionnel

Très bien-pensant aussi, le premier film de la star Robert Redford, Des gens comme les autres, récit intimiste d'un conflit familial au sein d'une bourgeoisie américaine étriquée. Un film très apprécié outre-Atlantique, mais auquel la France a fait un accueil plus réservé, déçue, sans doute, de ne pas y retrouver, dans le thème et la facture, le Redford plus éclatant et combatif que l'on connaissait comme interprète. Celui, précisément, du vigoureux Brubaker, de Stuart Rosenberg, inspiré d'une histoire vraie où le beau Redford incarne un directeur de prison bien décidé à transformer le scandaleux régime pénitentiaire en vigueur au risque de se faire briser par une administration très conservatrice.