Rond-Point de Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud, où L'amour de l'amour a aussitôt connu le succès. Reconstruites, à l'ancien Palais des Glaces, les spectateurs ont retrouvé les chaudes structures de bois du théâtre d'Orsay et la passion infatigable d'un couple illustre sans qui le répertoire français ne serait pas ce qu'il est.

Puis, à Marseille, au soir même de l'élection présidentielle, l'ouverture de la Criée, sur le Vieux-Port, où Marcel Maréchal a l'intention de poursuivre son aventure. Si son Scapin a pu paraître un peu sentencieux pour un valet issu de la Commedia del Arte, gageons qu'il reviendra vite à sa vraie nature et que ce beau et grand théâtre, le premier qu'on ait construit à Marseille depuis cent ans, sera l'un des phares de la décentralisation, à l'aube d'une ère nouvelle. Quand le bâtiment va, tout va : le théâtre ne fera pas mentir le proverbe...

Cinéma

Une production courante marquée par quelques réussites

Crise mondiale... Deux mots qui reviennent comme un refrain lancinant chaque année. Un refrain qui planait, cette fois encore, autour des festivités un peu moroses du festival de Cannes, où le délégué général parlait de « baisse de qualité et de quantité du cinéma mondial ». Les États-Unis, qui avaient jusqu'alors le vent en poupe, connaissent eux-mêmes des ennuis, au point que la très ancienne et très célèbre compagnie des Artistes associés a dû consentir à se vendre à la Metro Goldwin Mayer. Finis, murmure-t-on outre-Atlantique, les budgets colossaux. L'heure est à l'austérité.

Cosmopolite

Pourtant, à regarder de plus près l'année cinématographique, on est loin de l'apocalypse. Préoccupés, à juste titre, par l'évolution des techniques, les professionnels se préparent activement à devenir parties prenantes, alors que déjà les cassettes sont nombreuses sur le marché et que s'ouvrira, bientôt, l'ère du vidéo-disque et de la transmission des images par satellites. Soucieux, ils ont raison, de la stagnation, voire de la légère baisse de la fréquentation, ils ont, en France, lancé dès le 1er septembre, à l'occasion de la libération du prix des places, une vaste campagne de promotion sur les réductions consenties le lundi, jour traditionnellement noir et qui, depuis, est devenu l'un des meilleurs jours de la semaine. Conscients, il le fallait, qu'il s'agit plus que jamais de faire preuve de dynamisme, ils ont, cette année, produit plus de films que l'année précédente, en France du moins, avec un souci plus affirmé de ne pas négliger le public, trop souvent lassé par des œuvres d'avant-garde ésotériques. Enfin, pour faire face à l'augmentation des coûts de production, à la concurrence américaine accrue (en France, cette année, la fréquentation des films français a baissé au-dessous de la barre des 50 %, au profit des films d'outre-Atlantique), les professionnels commencent à s'unir : on trouve de plus en plus de films dont la nationalité est difficile à définir, tant le cosmopolite y règne, aussi bien pour les capitaux que pour les techniciens et les acteurs.

Crise donc, sans doute, reflétée d'ailleurs, c'était sensible à Cannes, par la tonalité des œuvres, souvent violentes, pessimistes, quand elles ne se réfugient pas dans une nostalgie admirative du passé. Mais aussi adaptation aux conditions nouvelles, rassemblement des énergies et des imaginations, éclosion de nouveaux talents. Le cinéma est loin d'avoir perdu la partie.

France

On a trop insisté, au fil des années, sur la médiocrité d'un cinéma français enlisé dans la routine pour ne pas, cette année, saluer deux événements tout à fait réconfortants : le triomphe sans précédent d'un film a la fois encensé par la critique, couvert de récompenses et largement en tête du box-office — devant les productions américaines, y compris celles de Walt Disney —, et le nombre et la qualité des films de cinéastes débutants.

Champion

Le film champion, c'est le Dernier métro, de François Truffaut. Il a rafflé d'un seul coup dix récompenses à la soirée des césars et atteint un record absolu d'entrées, alors qu'il ne s'agit pas d'un film comique et que l'on n'y trouve ni Belmondo ni de Funès. Il est vrai que ce Dernier métro réunit d'autres atouts. Un sujet fort : le Paris de l'Occupation. Une intrigue populaire : une femme entre deux hommes. Un cadre insolite : celui d'un théâtre. Et de superbes interprètes : Depardieu, Deneuve et la révélation du film, Heinz Bennent, inoubliable dans son rôle de directeur de théâtre, juif, caché dans la cave. Avec, pour lier tout cela, l'inimitable pudeur, le tact, la subtilité en demi-teintes de Truffaut. Incontestablement, le film de l'année, mais on peut regretter qu'il ait trusté tous les césars, au détriment d'autres œuvres de grande qualité.