Spectaculaire, certes, l'Apocalypse now de Coppola. Immense fresque guerrière, opéra baroque, à la fois lyrique et dénonciateur, moins cependant contre la guerre que sur la guerre. Et sur l'ivresse du combat, la beauté des ballets d'hélicoptères vrombissant aux accents de la chevauchée des Walkyries, le vertige des bombes lâchées sur les paisibles villages, les hallucinations de la drogue. Un film démesuré, fou, superbe et déplaisant, qui finit en une parabole (assez confuse) sur la folie du pouvoir, où Marlon Brando, bouche d'ombre dans un décor de carton-pâte, fait une ahurissante création.

Totalement à l'opposé, le Manhattan de Woody Allen, en noir et blanc (une sacrée audace, c'est le seul de l'année !), se contente d'être, au premier degré, la chronique intimiste, pointilliste, d'une poignée d'intellectuels new-yorkais confinés entre deux rues, deux divorces et deux psychanalystes. Mais ces frustrés de Central Park, à la fois lucides et déboussolés, atteignent, grâce à l'intelligence et à la sensibilité de Woody Allen, à l'universel. Et, pour accompagner les superbes images de la ville la plus célèbre du monde, quel coup de génie que d'avoir choisi les accents déchirants de la Rhapsodie in blue de Gerschwin !

Intimiste

Kramer contre Kramer participe de la même veine intimiste et a fait pleurer la France après l'Amérique (qui l'a couvert d'oscars) en racontant l'émouvante histoire d'un enfant (adorable) tiraillé entre son père et sa mère en instance de divorce. Une occasion pour Dustin Hoffman de faire littéralement éclater les limites d'un rôle où il a visiblement mis beaucoup de lui-même. Et, pour Meryl Streep (également présente dans Manhattan), de s'affirmer un peu plus comme une des nouvelles stars.

Comédie intimiste également qu'Elle, de Blake Edwards (en rupture de Panthère rose), où la sculpturale Bo Derek, qui ne fait pourtant que de brèves mais spectaculaires apparitions, a bouleversé l'univers des coiffeurs, en lançant la mode des tresses à l'Africaine, et des disquaires en relançant celle du Boléro de Ravel qui, dans le film, accompagne ses débats amoureux. Comédie aussi (la seule du festival de Cannes) l'étonnant Bienvenue Mister Chance, adapté par Hal Ashby d'une nouvelle de Jerzy Kosinski, où Peter Sellers campe un Candide légèrement débile qui devient, snobisme et besoin de renouveau aidant, la coqueluche du Tout-Washington.

Engouement

Même les plus consacrés des metteurs en scène ont, cette année, sacrifié à ce nouvel engouement : témoins Robert Altman, avec Un couple parfait, où la musique, classique et pop, joue autant de rôle que les comédiens ; Stanley Donen, avec un hommage malicieusement rétro aux films des années 30, Folie-Folie ; Arthur Hiller avec Ne tirez pas sur le dentiste, hilarante suite de gags avec Peter Falk en bonne pâte ahurie ; et même Robert Aldrich, plongeant Gène Wilder dans les très savoureuses aventures d'Un rabbin au Far West.

Comédies toujours, mais d'inspiration plus nouvelle, les deux films tournés (ou inspirés) par Nicholas Meyer, romancier à succès : C'était demain nous emmène avec H. G. Welles, aux commandes de sa machine à remonter — ou descendre — le temps, sur les pas du redoutable Jack l'Éventreur évadé dans la Californie d'aujourd'hui. Et Sherlock Holmes attaque l'Orient-Express nous ouvre les portes du cabinet du bon docteur Freud, chargé de désintoxiquer le célèbre détective rendu presque fou par la cocaïne.

Les films-catastrophes et les histoires de sorcellerie sont en nette régression (à l'exception du spectaculaire Fog de John Carpenter et du peu convaincant récit, paraît-il inspiré à Stuart Rosenberg par un fait divers authentique, Amytiville, la maison du diable). En revanche, on décèle cette saison une tentative de retour au bon vieux western. Classique avec Jack Nicholson (En route vers le Sud), bon enfant avec Richard Lester, qui a imaginé avec bonne humeur Les joyeux débuts de Buch Cassidy et le Kid, sans illusions avec William Wiard (Thom Horn, où Steve Mac Queen, vieilli et plus buriné que jamais, incarne ce que l'on pourrait considérer comme le dernier des cow-boys dans un Far West en mutation) et, surtout, moderne et écologique avec Sydney Pollack. Son Cavalier électrique est un cow-boy de music-hall subitement pris de dégoût pour la vie qu'il mène et qui, malgré le monde entier à ses trousses, parvient à ramener l'étalon drogué qu'il montait à la vie libre et sauvage. Ce retour aux vraies valeurs de naguère — nostalgie actuelle d'une certaine Amérique ? — est superbement plaidé par Robert Redford, aidé par Jane Fonda, plus belle que jamais dans un rôle de journaliste de télévision séduite par la sincérité du beau cow-boy blond : un grand duo de charme.