Cette année, entre les festivals d'été (Avignon, Aix-en-Provence, Anjou, La Rochelle, Châteauvallon, Arles), le Festival international de danse de Paris, les mois de la danse du Théâtre de la Ville, du Palais des Sports, du Palais des Congrès, du Centre Georges-Pompidou et, bien sûr, de l'Opéra de Paris, l'affiche de la production chorégraphique est impressionnante. Barychnikov et Noureev, Balanchine et Twyla Tharp, Merce Cunningham et Roland Petit, Maurice Béjart et Neumeier, Jennifer Muller et Alvin Ailey, Louis Falco et Nikolaïs, Carolyn Carlson et Eliot Feld, le Pilobolus, le London Contemporary Ballet, le ballet de Stuttgart, Moshe Efrati, le ballet de Cuba... on n'en finirait pas. Et pourtant, si l'on s'en tient à la création proprement dite, le bilan est assez mince.

Cinq représentations exceptionnelles en octobre 1979 avaient permis de voir Barychnikov avec le New York City Ballet, une occasion rarissime et finalement décevante. Le style épuré ne convient pas vraiment au tempérament dramatique et fougueux de ce superbe danseur. En plus, il est trop jeune pour entrer dans le couvent balanchinien.

Éclectisme

Après cette expérience éphémère, le voici qui prend la direction de l'American Ballet Théâtre — plus éclectique dans sa production — et qui se lance dans la comédie musicale et le cinéma, tout ce qui peut nourrir sa nature exceptionnelle et son génie. Le New York City Ballet est revenu à Paris sans lui, en septembre 1980, pour l'hommage à Stravinsky organisé au Théâtre des Champs-Élysées par Jean Robin. Ce séjour a mis en lumière le talent de Peter Martins, Danois, grand blond noble et distingué, formé à la fameuse école du style Bournonville et qui est le danseur balanchinien par excellence.

Rudolph Noureev était très attendu avec sa création de Manfred. Un accident l'a empêché d'interpréter son ballet. Le pied dans le plâtre, il a supervisé la prestation de son remplaçant, Jean Guizerix. Mais celui-ci, malgré sa belle technique, n'a pas réussi à sauver le spectacle. La chorégraphie, baroque, appelait une interprétation délirante, démesurée. Noureev a tellement investi de lui-même dans cet ouvrage qu'il était le seul à pouvoir l'assumer. Son héros, à la fois Manfred, Byron et Noureev, un condensé de toutes les contradictions romantiques, aux prises avec les tentations de l'inceste, de l'homosexualité et finalement du problème de la difficulté d'être, a été dessiné par un danseur qui ne possède pas une écriture gestuelle originale. Un petit divertissement signé Balanchine, Le bourgeois gentilhomme, dansé par un Noureev convalescent, a mis en évidence — si besoin l'était encore — ses dons de comédien. Ce ne fut pas suffisant. Le public, déçu par l'indisponibilité de sa vedette, a boudé le Palais des Sports.

De même, il a fait un accueil mitigé au Fantôme de l'Opéra, composé par Roland Petit à la demande de Rolf Liebermann. L'idée était amusante : recréer l'opéra dans l'opéra. Roland Petit retrouvait le climat de Nana. L'intrigue, imaginée par Gaston Leroux, se joue entre trois personnages : la danseuse, le jeune homme et le fantôme ; c'est le thème — cher au chorégraphe — de la belle et la bête qu'il avait si bien exprimé dans Le loup et Notre-Dame de Paris. Cette fois, excepté quelques tableaux spectaculaires (le bal de la Mort rouge et l'invasion des rats), le ballet paraît souvent vide et languissant malgré une distribution brillante qui réunit Dominique Khalfouni, Peter Schaufuss et Patrick Dupond. La partition de Marcel Landowski, trop symphonique, y est pour quelque chose. Les Parisiens ont préféré le Roland Petit chorégraphe de La chauve-souris, fantaisie brillante, mousseuse comme du Champagne, créée à Monte-Carlo puis dansée à Marseille et à Paris. Ils saluaient là le retour de Zizi Jeanmaire, plus parigotte que jamais dans un rôle sur mesure, mi-Croqueuse de diamants, mi-Carmen. C'est avec ce ballet et une version fantaisiste de Coppélia que Roland Petit a emmené les Ballets de Marseille dans une tournée triomphale aux États-Unis. Les Américains ont trouvé là ce qu'ils attendaient, un esprit typiquement français, du moins tel qu'ils l'imaginent.

Opéra

Pendant ce temps, l'Opéra de Paris proposait aux touristes et aux étrangers un menu terne, une reprise de Sylvia, ballet rétro à souhait, et le sempiternel Lac des cygnes et autre Belle au bois dormant. Bernard Lefort, qui a succédé à Rolf Liebermann à la direction de la Maison, a fort à faire pour y rétablir un bon climat. Juste avant son arrivée, les danseurs ont fait échouer une tournée aux États-Unis parce qu'on leur imposait la présence de deux locomotives, Noureev et Peter Schaufuss, pour appâter les New-Yorkais, très fervents de superstars. Résultat : Dominique Khalfouni, une des plus brillantes étoiles, décidée à réussir coûte que coûte une carrière internationale, a quitté l'Opéra pour rejoindre les Ballets de Marseille en partance pour leur tournée mondiale.