La Constitution est également contestée par l'ayatollah Chariat Madari, chef spirituel de l'importante minorité turcophone de l'Azerbaïdjan et seule personnalité modérée de dimension nationale capable de s'opposer au guide de la révolution. Les irrégularités commises au cours de la consultation et une attaque des pasdaran contre la résidence de l'ayatollah Chariat Madari à Qom donnent le signal de la révolte à Tabriz, capitale de l'Azerbaïdjan, qui entre en dissidence le 6 décembre. Les insurgés s'emparent de la radiotélévision, exigent l'autonomie de la province. Mais leurs dirigeants ont apparemment sous-estimé le pouvoir charismatique de l'imam Khomeiny et son emprise sur les masses déshéritées. Les partisans de ce dernier reprennent le 7 décembre le contrôle de la situation à Tabriz, avec l'aide des gardiens de la révolution dépêchés sur les lieux. Le 10 décembre, les forces loyales au pouvoir central réoccupent les principaux bâtiments publics de Tabriz, où la rébellion commence à s'effilocher.

L'ayatollah Chariat Madari, dont l'attitude hésitante et velléitaire a paralysé l'action de ses partisans, prononce la dissolution du Parti républicain du peuple musulman, tenu pour seul responsable des troubles. La tension persiste cependant, et la capitale de l'Azerbaïdjan est le théâtre de heurts quasi quotidiens entre les partisans de l'imam et ceux de l'ayatollah Chariat Madari, qui est pratiquement assigné à résidence à Qom. Le 12 janvier 1980, onze militants du PRPM sont passés par les armes à Tabriz à l'issue d'un procès expéditif. L'insurrection azerbaïdjanaise n'aura duré qu'un mois.

Élection

L'imam Khomeiny, souffrant de « petites douleurs à la poitrine », est transporté, le 24 janvier, en pleine nuit, de sa résidence de Qom à l'hôpital Ali Rezaï à Téhéran. Le malaise cardiaque de l'imam, qui semble beaucoup plus grave que ne le laissent apparaître les bulletins médicaux rassurants de la radio, met en évidence l'importance de l'élection présidentielle prévue pour le lendemain. L'ampleur inattendue de la victoire de Bani Sadr, qui devient le premier président de la République islamique, est le résultat d'une suite d'erreurs et de dissensions au sein du Parti républicain islamique, dont le candidat, Jalal Eddine el Farsi, est éliminé à quelques jours du scrutin parce qu'il n'est pas d'origine iranienne, ainsi que l'exige la Constitution. Hassan Habibi, sociologue de formation et un des auteurs de la loi fondamentale, qui le remplace au pied levé, subit une cuisante défaite, n'obtenant que 10 % des suffrages.

Bani Sadr, qui a préparé de longue date une campagne menée à l'américaine, est élu avec environ 75 % des voix. Le nouveau chef de l'État parait fermement décidé à ne pas limiter ses activités à « inaugurer les chrysanthèmes ». Avant même de prêter serment devant l'imam, il fonde un Front politique dont le but est de présenter des candidats aux élections législatives prévues pour le 14 mars.

Sûr de lui, il dénonce la « paralysie née de la multiplicité des centres de décision » et affirme avec une certaine légèreté que le PRI de l'ayatollah Behechti « est mort le jour des élections ». Imperceptiblement, il glisse vers les positions « conciliatrices et réformistes » de M. Bazargan, dont il utilise le vocabulaire pour mettre en garde les Iraniens contre les dangers du « fascisme religieux » et les agissements de ceux qui tentent de « rétablir la dictature politique sous le couvert de la religion ». Il dénonce surtout les activités des étudiants islamiques, qu'il qualifie d'« enfants irresponsables ». Ces derniers, dans une lettre de détresse adressée au guide de la révolution le 1er février, lui demandent de choisir entre la « voie du compromis » qui, selon eux, est celle du nouveau président de la République et la « poursuite de la révolution ». Malgré leur isolement apparent, les étudiants islamiques continuent de bénéficier de soutiens politiques occultes et font figure dans une partie de l'opinion de « défenseurs de la pureté révolutionnaire », alors que Bani Sadr les accuse de favoriser objectivement une intervention militaire américaine, donnant ainsi aux Russes le prétexte de faire de l'Iran un « nouvel Afghanistan ».

Négociations

Bani Sadr ne réussit pas à faire dissoudre le Conseil de la révolution, pratiquement contrôlé par les partisans de l'ayatollah Behechti, mais arrive quand même à lui arracher d'importants pouvoirs exécutifs que la Constitution ne lui accorde pas. Le président Carter, qui, pour sa part, semble avoir parié (après l'intervention des troupes soviétiques en Afghanistan) pour la victoire des éléments modérés, décide le 7 février de surseoir à sa proposition d'appliquer des sanctions économiques contre l'Iran. Six jours plus tard, il affirme qu'il n'existe pas de « divergences insurmontables » entre Washington et Téhéran et confirme l'existence de tractations discrètes en vue de la libération des otages. Bani Sadr annonce au même moment que l'imam Khomeiny a approuvé un plan qui aboutirait à la libération des otages peu après la formation d'une commission d'enquête internationale sur les crimes du chah. Plusieurs avocats français servent d'intermédiaires entre les deux parties dans les pourparlers qui se tiennent par l'intermédiaire du secrétaire général des Nations unies, Kurt Waldheim.