Les nombreux échecs que les programmes en faveur de la régulation des naissances ont rencontrés dans le monde en développement résultent finalement de ce que la baisse de la fécondité tient bien davantage à la volonté spontanée des couples de limiter leur descendance qu'à la disponibilité des moyens contraceptifs, aussi pratiques, efficaces et inoffensifs soient-ils.

Il faut cependant signaler que, dans certains pays d'Afrique (Tunisie, Égypte), d'Asie (Singapour, Hong-kong, Formose, Corée du Sud) et d'Amérique latine (Chili, Costa Rica), on voit apparaître depuis quelques années les premiers signes de ce qui pourrait être le début d'un mouvement beaucoup plus ample. La République populaire de Chine semble avoir obtenu des résultats très importants, mais les informations fragmentaires dont on dispose sur ce pays ne permettent pas d'avoir une vue précise de l'évolution récente.

Peut-être les prochaines années confirmeront-elles que le processus est définitivement engagé dans un nombre croissant de pays du tiers monde et que l'idée de la stabilisation à terme de la population mondiale n'est pas purement chimérique. Il n'est même pas exclu d'imaginer que le rythme de baisse de la fécondité sera plus rapide qu'il n'a été en Europe, à niveau de développement égal. Mais, sur ce point, nous n'avons encore aucune indication précise. Signalons toutefois que les données les plus récentes publiées par l'ONU sur la croissance démographique mondiale font apparaître une légère décélération : taux ramené à 1,8 % par an au lieu de 2 % il y a encore dix ans.

Décalage

Quoi qu'il en soit, le chiffre actuel de 4 milliards d'hommes est appelé à être considérablement dépassé dans les décennies à venir. Un calcul arithmétique très simple, fondé sur l'hypothèse que tous les pays verraient subitement leur fécondité coïncider avec le niveau qui équilibre leur mortalité puis s'y maintenir indéfiniment, conduit à une stabilisation de la population mondiale au chiffre évidemment minimal de 6 milliards, soit 50 % au-dessus de la réalité actuelle. Suivant le délai qui s'écoulera d'ici que la fécondité rejoigne le seuil de remplacement, la stabilisation se réalisera à un plafond plus ou moins élevé : si cela se produit en 2000, le plafond se situe à 8 milliards ; si c'est en 2025, il est à 11 milliards. Une sorte de course contre le temps est ainsi engagée : l'homme a trouvé les procédés permettant d'abaisser rapidement sa mortalité ; il recherche depuis vingt-cinq ans, et jusqu'à présent sans grand succès, ceux permettant de hâter ce lent mûrissement des esprits et des sociétés qui conduirait à un accord retrouvé entre fécondité et mortalité.

C'est dans ce contexte qu'il convient de considérer la situation démographique mondiale : les quelque 150 pays qui constituent le monde se situent à des points différents de leurs parcours démographique, économique, social. Les évolutions se font, en schématisant énormément, selon des chemins sensiblement parallèles, mais avec de grands décalages chronologiques. La transition démographique, étape clé de l'histoire humaine, qui appartient au passé européen, n'a pas encore été accomplie dans le tiers monde. Tout porte à croire qu'elle est déjà en train de s'opérer — ou en tout cas sur le point de le faire — dans bon nombre d'entre eux.

L'Europe et la France

Les connaissances que nous avons de l'histoire démographique sont encore très limitées. C'est qu'en effet cette révolution que représente la contraception — celle, peut-être aussi, que représentent les contraceptifs les plus récents — est toute proche de nous : notre expérience des comportements démographiques en régime de fécondité contrôlée est finalement très courte, même si la statistique moderne a permis de les décrire à l'échelle nationale et internationale d'une manière assez précise.

Depuis la fin du XVIIIe siècle, la fécondité française a diminué progressivement et régulièrement de son niveau ancien de 4 à 5 enfants par femme jusqu'à un minimum égal à 2 enfants, enregistré, par la génération 1896. Sans doute, la Première Guerre mondiale a-t-elle accentué un peu la faible fécondité des générations nées à la fin du siècle dernier, mais il ne fait pas de doute que, même en l'absence de conflit, ces générations auraient eu ce qui constitue aujourd'hui encore la descendance la plus réduite jamais observée en France.

Analogies

Après cette baisse profonde qui traduit la transition démographique française, on assiste à une reprise assez étonnante de la courbe de fécondité, qui s'étend sur une trentaine de générations : le point haut de cette phase ascendante est atteint par les femmes nées vers 1930, avec 2,6 enfants en moyenne, soit 30 % de plus que les générations nées à la fin du siècle dernier. Ensuite, la courbe voit sa tendance s'inverser et les données les plus récentes conduisent à évaluer la descendance des femmes nées en 1940 à 2,4 enfants, celle des femmes nées en 1950 pouvant, si la tendance persiste, ne pas dépasser 2 à 2,1 enfants. Au-delà, aucune estimation ne peut être avancée.