Dossier

Les grandes interrogations de l'évolution démographique

Il y a presque exactement deux siècles, les premières manifestations d'un phénomène déterminant de l'histoire humaine se produisaient dans la France paysanne de Louis XVI : l'homme commençait à limiter volontairement sa descendance et à l'abaisser au-dessous des limites du biologique, sans pour autant recourir ni aux moyens sociaux traditionnels (élévation de l'âge au mariage, augmentation du nombre des célibataires définitifs), ni à l'avortement ou à l'infanticide. Ce phénomène, qui n'avait pas de précédent si ce n'est dans certaines classes de la noblesse ou de la haute bourgeoisie, est passé largement inaperçu des contemporains, même si certains, tel l'économiste Thomas Malthus en Angleterre, constataient et déploraient « qu'on trompât la nature jusque dans les chaumières ». Et c'est seulement dans la période toute récente qu'on lui a donné un nom et qu'on l'a fait sortir du ghetto des tabous : la contraception, c'est-à-dire la dissociation de la sexualité et de la reproduction.

Glossaire

Génération : ensemble des femmes nées la même année de calendrier ; le millésime de l'année est attaché à la génération considérée : par exemple, les personnes nées en 1900 constituent la génération 1900.

Espérance de vie (ou plus précisément espérance de vie à la naissance) : c'est la durée moyenne de vie, ou encore l'âge moyen au décès, des personnes soumises à une loi de mortalité donnée. L'espérance de vie à une époque particulière se calcule à partir des éléments de la loi de mortalité observée au cours de la période.

Taux de croissance démographique : c'est le taux de variation annuel (exprimé en % ou en ‰) de l'effectif d'une population. (Il est l'équivalent démographique du taux d'intérêt financier.)

Taux de fécondité par âge : rapport du nombre d'enfants nés au cours d'une année, dont la mère avait l'âge considéré, à l'effectif total des femmes ayant cet âge-là. En négligeant les accouchements multiples, le taux de fécondité à 20 ans est égal à la proportion des femmes qui ont un enfant l'année de leur 20e anniversaire.

Descendance finale : l'addition des taux de fécondité par âge observés sur une même génération féminine entre l'année où cette génération a eu 15 ans et celle où elle a eu 50 ans fournit la descendance finale de cette génération. En négligeant la mortalité féminine entre 15 et 50 ans ainsi que les migrations internationales entre ces âges, la descendance finale, qui s'exprime en nombre moyen total d'enfants par femme, coïncide avec la réponse qu'on obtiendrait en moyenne en demandant à un échantillon de femmes de 50 ans le nombre d'enfants nés vivants qu'elles ont eus au cours de leur vie féconde.

Indicateur conjoncturel de la fécondité : l'addition des taux de fécondité par âge observés au cours d'une année donnée — donc sur des générations différentes de femmes — est l'indicateur conjoncturel de l'année. Si les taux de fécondité par âge demeuraient immuables, l'indicateur conjoncturel serait constamment égal à la descendance finale. Mais les taux de fécondité par âge évoluant, l'indicateur conjoncturel, qui caractérise la situation d'une année au regard de la fécondité, peut s'écarter notablement de la descendance finale des générations alors en âge de fécondité.

Comme la descendance finale, l'indicateur conjoncturel de la fécondité s'exprime en termes de nombre moyen d'enfants par femme.

Loi d'airain

Cette étape de l'aventure humaine constitue une rupture avec un passé millénaire et il est aisé de comprendre que le corps social, les mentalités collectives, les religions aient souvent livré un long combat d'arrière-garde contre une évolution qui conduisait à une révision déchirante d'un système immémorial de valeurs. Par exemple, toutes les religions ont prôné la fécondité et glorifié la maternité. Ce n'est évidemment pas un hasard : le maintien de la fécondité à une valeur proche du maximum physiologique (en moyenne 10 à 12 enfants par couple (du moins s'agissant des couples formés à l'âge de 20-24 ans pour la femme et 25-29 ans pour le mari et non dissous lorsque la femme parvenait à 50 ans)) était une nécessité absolue pour équilibrer une mortalité élevée (correspondant à une espérance de vie de 25 à 30 ans au maximum). Les groupes humains qui n'ont pas obéi à cette loi d'airain de la survie collective ont tout simplement disparu. Le prestige social attaché à une nombreuse postérité et, inversement, la réprobation encourue par la femme stérile (ou supposée telle) témoignent du système de valeurs orienté vers une fécondité élevée, qui a prévalu dans de nombreuses sociétés pendant des millénaires.