À la mi-août, onze universités sur treize — celles de Paris intra muros, Paris-Sud, et même Nanterre ! — affichent « complet », sauf pour quelques disciplines littéraires. Pourtant, le nombre des candidats ne dépasse celui de l'année précédente que dans une seule branche : les sciences de la nature et de la vie (biologie et géologie), où l'engouement pour l'écologie, le reflux de la médecine et de la pharmacie (échec ou crainte d'échec) ont provoqué un afflux. Le recteur de l'Académie de Paris invite ceux qui ne trouvent pas de place à s'inscrire dans une des universités de la grande couronne : Amiens, Reims ou Rouen... voire Tours ou Lille.

Mais les étudiants se sont précipités sur les universités du centre de la capitale, les plus prestigieuses et les plus anciennes, même si les autres — Nanterre en sciences économiques, par exemple — offrent des possibilités de travail. Sauf à Paris-Nord (Villetaneuse et Saint-Denis), ce ne sont pas tant les banlieusards qui sont inscrits dans les universités de la périphérie, mais les bacheliers hésitants ou moins avertis. La répartition se régularise quelque peu en septembre ; tandis que Paris-Nord (Paris-XIII) rouvre les inscriptions, d'autres établissements acceptent des dérogations.

Ce désordre est le résultat des hésitations du secrétariat d'État aux Universités sur l'accès à l'enseignement supérieur, alternant depuis un an les ballons d'essai en faveur de la sélection et les déclarations selon lesquelles il n'y a pas trop d'étudiants. Le gouvernement et l'administration centrale qui ont renvoyé aux calendes grecques la décision sur ce point — prévue dans la réforme Haby — laissent en fait la responsabilité du choix aux universités. Certaines se sont contentées d'appliquer la règle de l'autobus (on ferme les portes lorsque le véhicule est plein) afin d'éviter d'être débordées ; d'autres se sont efforcées de sélectionner les bacheliers — par exemple en favorisant, par les dates d'inscription, les bacheliers reçus dès le premier groupe d'épreuves et ayant donc obtenu au minimum une mention assez bien à l'examen.

Découragement

Le climat est de plus en plus morose dans les universités. Malgré un léger accroissement des subventions au budget 1978, celles-ci sont toujours en proie aux difficultés financières. L'université des sciences et techniques de Lille a besoin de 3 600 000 F pour boucler son budget ; celle des lettres et des arts demande 500 000 F, et celle de Toulouse-le-Mirail 750 000 F ; celle de Dijon ferme ses portes une journée pour protester contre le manque de crédits. À la veille des élections, socialistes et communistes proposent, chacun de leur côté, d'accorder des subventions supplémentaires, de titulariser les vacataires et contractuels, et d'accroître le nombre et le taux des bourses.

Surtout, le découragement ne fait que croître : les universitaires ont le sentiment d'être abandonnés. Le secrétariat d'État aux universités est devenu un ministère le 10 janvier ; mais le maintien à sa tête d'Alice Saunier-Seïté (elle sera également reconduite dans le gouvernement Barre du 3 avril), impopulaire chez les enseignants et les étudiants, les confirme dans ce sentiment d'abandon.

Dix ans après, où en sont les grandes revendications de mai 1968 : autonomie, cogestion, pluridisciplinarité et renouvellement pédagogique ? Dans la loi, elles sont satisfaites. Mais dans la pratique ? L'autonomie demeure largement théorique, les crédits ne pouvant venir que de l'État, et celui-ci renforce son contrôle sous couleur d'égaliser les subventions. Les enseignants eux-mêmes ont tenu aux diplômes nationaux, qui imposent un cadre aux études. Les conseils élus paraissent un témoignage du passé. Les étudiants s'en sont désintéressés. Le pouvoir réel revient de plus en plus aux patrons, aux mandarins. Ceux-ci contrôlent autant qu'avant la carrière des assistants et définissent le contenu de l'enseignement. Le cours magistral est revenu. Si la multiplication des unités de valeur permet plus de liberté de choix, les filières traditionnelles spécialisées représentent toujours la plus grande part de l'activité des universités. Les formatons se sont insuffisamment renouvelées : le conflit sur la réforme du deuxième cycle a plutôt bloqué la situation.

Dauphine

Exemple de ce retour au système ancien : Dauphine, université expérimentale créée à la rentrée 1968. Les responsables de l'établissement décident de rétablir des examens dans le premier cycle et de les faire compter pour la moitié de la note finale (le contrôle continu n'est maintenu que pour les matières à option). La décision est prise contre l'avis de la commission pédagogique, qui souhaitait une réflexion générale sur la pluri-disciplinarité et le contrôle : des connaissances avant tout. Seuls les professeurs et les maîtres de conférence participeront aux jurys ; les assistants et les maîtres-assistants en sont écartés. La réforme provoque une grève de deux semaines des étudiants au mois de janvier et le boycottage de plusieurs examens en février ; le 25 janvier, les bureaux de la présidence sont occupés et des élections annulées à la suite de la disparition de listes électorales. Quelques heurts se produisent avec les policiers.