Les différends ayant été aplanis, on croyait que l'Europe se doterait rapidement des moyens propres à en faire la troisième puissance spatiale et à la soustraire à la tutelle pesante des États-Unis. Hélas ! les roues de l'Europe spatiale sont retombées dans les vieilles ornières, les vieux démons de la méfiance et de la rivalité se sont réveillés, exacerbés par la crise économique.

Conflits

D'une part, les Européens se comportent comme si, ayant acheté un melon en commun, chacun d'eux voulait recevoir une tranche plus grosse que sa mise de fonds. D'autre part, certains se résignent mal à ce que l'un des partenaires possède la maîtrise dans un domaine technologique où il est en avance sur les autres. Alors que la France poursuit avec succès la réalisation du lanceur Ariane, on apprend que les Allemands se sont assuré la disposition au Zaïre d'un plateau grand comme le tiers de la France, en vue d'essayer les éléments du lanceur Billigrakete (fusée bon marché). Il consistera en un faisceau comportant un grand nombre de petits éléments tubulaires (400 pour un lanceur de 1 000 t qui serait disponible pour essais en 1980). Autre handicap de l'Europe spatiale : les liens qui ont toujours existé entre l'Allemagne fédérale et les États-Unis rendent difficile toute initiative qui va à rencontre des intérêts de l'industrie américaine.

Les conflits internes de l'ASE ont pris un caractère aigu au cours de l'été 1977, à propos du choix du maître d'œuvre des premiers satellites à lancer par Ariane. En juillet, puis en novembre, le Conseil de l'ASE se sépare sans pouvoir prendre de décision pour la poursuite de programmes en principe adoptés depuis longtemps. Du 14 au 16 décembre, la seule décision ferme est la poursuite du programme Nasa-ASE (lancement du Spacelab européen par la navette américaine en 1980).

Les Allemands, qui sont les animateurs et responsables du programme Spacelab, n'ont pas voulu pour autant donner le feu vert à la construction d'une première série de lanceurs européens Ariane (programme animé par la France) ni pour la réalisation de satellites de télécommunications européens. Cette attitude réjouit l'industrie aérospatiale des États-Unis.

Ces questions ont été abordées par le président Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt lors de leurs entretiens des 6 et 7 février 1978. Après avoir été ajournée, une nouvelle réunion du Conseil de l'ASE a lieu en avril, qui décide : construction immédiate de 5 lanceurs Ariane, étude d'un satellite de télédiffusion, mise au point d'un nouveau programme de télécommunications spatiales, etc.

Fruits du court élan unitaire des Européens, plusieurs engins ont été satellisés par des fusées américaines : le 22 octobre, ISEE-B, apport européen à un programme mondial d'étude de la magnétosphère terrestre ; un mois plus tard, Meteosat, premier satellite météorologique européen. Mis sur une orbite géostationnaire, cet engin fournit d'emblée des images de très haute définition (15 000 lignes), parmi les plus nettes et détaillées obtenues à ce jour. Selon la longueur d'onde sélectionnée, les images de tout un hémisphère terrestre font ressortir les nuages hauts, les nuages bas ou la répartition de la vapeur d'eau dans l'atmosphère (ce qui constitue une nouveauté).

Malheureusement, les accidents qui se sont produits lors de certains lancements ont causé, comme nous l'avons dit, la perte de deux autres importantes réalisations européennes : les satellites Geos et OTS. Mais un deuxième OTS est lancé avec succès le 11 mai : l'ASE se trouve ainsi en possession de son premier satellite de télécommunications.

Faisant bande à part, l'Italie a fait satelliser par les Américains son premier satellite de télécommunications géostationnaire (26 août 1977). Pour obtenir le concours de la Nasa, les Italiens ont dû s'engager à ne pas exploiter cet engin sur des bases commerciales pour ne pas rompre le monopole de fait américain.

L'Orient bouge

L'Extrême-Orient devient de plus en plus remuant dans le domaine spatial. Les Japonais, dont les activités n'ont commencé qu'en 1970, en sont déjà à leur 13e satellite. La Nasda (agence spatiale japonaise) dispose d'un cosmodrome à Tanegashima. C'est de là que la fusée à poudre Mu3H est partie le 4 février 1978 mettre en orbite le satellite scientifique Kyokkoh (Aurore). Auparavant, le 14 juillet 1977, la Nasda avait lancé le premier satellite météorologique japonais du type géostationnaire, baptisé Sakura (Cerise), puis, le 16 février 1978, un UME 2 (Abricot) destiné à l'étude de l'ionosphère. C'est, en revanche, du cap Canaveral, par les soins de la Nasa, qu'est mis en orbite géostationnaire le premier satellite de télédiffusion (télévision en direct) BSE, le 7 avril.

Rush

La Nasda ne fait pas mystère de ses intentions. Les programmes annoncés touchent à tous les domaines d'application de la recherche, depuis le petit satellite scientifique jusqu'à la mise en orbite de satellites habités. Tout laisse présager un rush qui serait, dans l'espace, l'équivalent de ceux que les Japonais ont réussis dans l'électronique, la motocyclette ou la construction navale. En particulier, ils se font forts de satelliser par eux-mêmes, dès 1981, des engins géostationnaires.