Bagnolet, c'est le triomphe de la jeunesse et de l'imagination ; c'est aussi la consécration de la danse pauvre, car ce concours, ignoré des pouvoirs publics, ne débouche sur rien ou presque : une rencontre des lauréats pour un stage à l'abbaye des Prémontrés (avec l'aide des Monuments historiques et de la Fondation de France), quelques tournées JMF, une invitation pour un festival, un passage dans quelques maisons des jeunes et de la culture, c'est peu. Mais c'est le seul moyen de se faire connaître, comme en témoignent les noms de Gheorghe Caciuleanu, Dominique Bagouet, Charles Pirat, Jean Rochereau, Caroline Dudan, Jean-Claude Ramseyer, qui, ainsi encouragés, tentent de survivre.

Manifestement, le ministère des Affaires culturelles a été pris de court par l'éclatement soudain de ce qu'il est convenu d'appeler la jeune danse. Il n'existe pas, comme en Amérique, le relais des universités pour la promouvoir. Les maisons de la culture pourraient jouer ce rôle : c'est une question d'organisation et d'argent. Le ministère de tutelle s'en tient au saupoudrage de maigres subsides. Les municipalités de province consentent quelques efforts, mais elles sont surtout disposées à des dépenses de prestige qui favorisent les troupes de ballets attachées à leur ville.

Sous-prolétariat

Le courant de décentralisation qui s'était dessiné depuis plusieurs années se révèle bien décevant. On assiste un peu partout à une valse des chorégraphes complètement arbitraire, qui compromet souvent les résultats de plusieurs années de travail : Peter Van Dyk quitte l'Opéra du Rhin pour Genève, Vittorio Biagi est remplacé à Lyon par Milko Sparemblek, Jacqueline Rayet doit renoncer à son action au Capitole de Toulouse faute de moyens. Enfin le directeur du Ballet-Théâtre Contemporain, Jean-Albert Cartier, écarté d'Angers, est accueilli par la ville de Nancy, qui n'hésite pas, pour ce faire, à renvoyer purement et simplement Gheorghe Caciuleanu, directeur du Ballet de Lorraine, à qui elle avait, peu de temps avant, accordé son autonomie. De telles pratiques sont d'autant plus regrettables qu'elles s'accompagnent d'une mise au chômage de nombreux danseurs. Sans statuts, taillables et corvéables à merci, tous ces jeunes artistes constituent une sorte de sous-prolétariat. Beaucoup s'expatrient en Allemagne, où la danse connaît actuellement un grand développement.

Comité

Face aux carences des collectivités et de l'État, les danseurs s'organisent, passant outre à leur individualisme fondamental.

Une trentaine de groupes, qui s'étaient solidarisés avec l'équipe du Théâtre-des-deux-Portes expulsée par la municipalité de Paris, ont décidé de constituer un Comité d'action-danse. Ils se proposent de lutter activement pour l'application d'une véritable politique culturelle portant sur le statut des danseurs, l'aide aux jeunes compagnies et surtout l'obtention d'un lieu de création. À Lyon, cinq compagnies ont formé l'Action-danse Rhône-Alpes (ADRA). Enfin, douze chorégraphes parisiens tentent une expérience de coopérative (Independanse) où ils partagent frais et recettes. Quelque chose est en train de bouger. Parallèlement, la mentalité du public évolue. Besoin de s'exprimer et de communiquer chez les uns, besoin de pratiquer chez les autres. Toute une dynamique se développe. Ce n'est pas un hasard si la danse envahit toutes les formes théâtrales, si le dernier festival des Arts traditionnels de Rennes a centré ses débats sur La théâtralisation des danses populaires. Dans tous les pays, les jeunes chorégraphes tentent de retrouver à travers les traditions archaïques de nouvelles sources d'inspiration ; partout la danse contemporaine se tourne vers on ne sait quelle mémoire collective, source de renouveau. Ce mouvement n'est pas un simple effet de mode, il s'agit d'un phénomène de société.

Théâtre

Au milieu d'un paysage confus, quelques miracles

Au cours du colloque réuni en Avignon au mois de juillet 1977 par le syndicat de la critique dramatique, à l'occasion de son centième anniversaire, l'un des participants a lumineusement résumé la situation : « En France, a-t-il dit, il y a le théâtre public, le théâtre privé... et le théâtre privé de tout. »

Subventionnées

Comment ne pas remarquer en effet que les rares créations prestigieuses, celles des grands metteurs en scène, n'étaient réalisables que dans les salles subventionnées, à Paris ou en province. Un Strehler, un Brook, un Planchon, un Pintilié auraient vite fait de ruiner le directeur indépendant qui s'aventurerait à leur confier un spectacle.