– Le plan-acier mis au point par le gouvernement français au printemps 1977 (Journal de l'année 1976-77) commence à porter ses fruits dans la mesure où les réductions d'effectifs (16 000 salariés en trois ans) qu'il prévoit allègent sensiblement les charges d'exploitation des sidérurgistes.

– Le résultat des élections législatives de mars 1978, enfin, a libéré le potentiel de reprise économique qu'on devinait bien au début de l'année, mais qui n'a pu s'exprimer véritablement qu'une fois levée l'hypothèque politique. Cette reprise est réelle quoique lente et fragile. Elle profite autant à la sidérurgie qu'aux autres secteurs d'activité. Au printemps, on espérait que l'année 1978 verrait une augmentation de la production de 5 % ; au début de l'été, on n'en était déjà plus aussi sûrs.

Absurde

Au total, et pour la première fois depuis 1975, les sidérurgistes français constatent donc que leur horizon s'éclaircit. Mais ils auraient tort de chanter victoire pour autant.

Les 24 millions de tonnes attendus pour la fin de l'année ne font le poids ni avec les 25 millions de tonnes dépassés en 1973, ni avec les 35 millions de tonnes prévus pour 1979 par les experts du VIIe Plan. En période de croissance douce, il faut désormais tabler sur une croissance de l'ordre du million de tonnes par an, ce qui est insuffisant pour saturer dans un proche avenir les actuelles capacités de production de la sidérurgie française (30 millions de tonnes), et pour justifier les investissements prévus dans le passé, par exemple le doublement de la capacité de Fos.

Le relèvement de prix décidé par le plan Davignon n'est pas davantage à la mesure des déficits d'exploitation — 2,3 milliards de F en 1977 rien que pour Sacilor (ex-De Wendel) — enregistrés par les maîtres de forges. Pour que coûts et recettes d'exploitation soient équilibrés, il faudrait décider une hausse supplémentaire d'au moins 20 %. Une telle hypothèse est évidemment absurde compte tenu des contraintes de la compétition internationale et des intérêts propres aux industries consommatrices d'acier.

Déjà, la puissante Fédération des industries mécaniques a fait savoir qu'il ne lui appartenait pas de payer pour la sidérurgie : « La compétitivité d'activités à forte valeur ajoutée — estime-t-elle — est plus essentielle au pays que la survie d'une industrie vétusté. » C'est ce qu'ont bien compris les Allemands qui se consolent des difficultés de leurs aciéries grâce au renforcement de leurs industries de biens d'équipement.

Ornière

En admettant qu'une amélioration conjoncturelle permette aux sidérurgistes de renouer avec des prix rémunérateurs, le problème de leur endettement resterait entier. Voilà, en effet, une profession dont le montant des dettes — environ 40 milliards de F — est égal à la valeur de la production ! C'est dire que leurs charges financières atteignent 10 % de leur chiffre d'affaires. Rembourser leurs emprunts et en payer les intérêts les obligent donc à contracter de nouveaux emprunts, ce qui les enfonce encore plus dans l'ornière. C'est le cercle vicieux ! Une seule solution : effacer l'ardoise ou mettre les aciéries en faillite. Mais là, on sort de l'économie pour entrer dans la politique, d'où l'éternel débat sur la nationalisation de la sidérurgie.

À quoi servirait d'ailleurs de remettre le compteur à zéro si c'est pour recommencer immédiatement à accumuler les déficits ? Dans son état actuel, et quels que soient ses efforts — réels — pour se moderniser, notamment en Lorraine, la sidérurgie française n'est pas compétitive à l'échelle internationale. Les dirigeants de la Chambre syndicale de la sidérurgie affirment que leurs performances atteindront tôt ou tard le niveau japonais. Peut-être. Mais ils oublient que le Japon est déjà dépassé. Bien que les Nippons aient plus d'un tour dans leur sac (de 1975 à 1976, leur part de marché dans le tiers monde est passée de 55 % à 73 % de celle des Européens), ils ont vu en 1977 leur production fléchir de 7 % par rapport à 1976. L'avenir de la sidérurgie, au moins pour les produits longs (exemple : ronds à béton), appartient désormais au tiers monde.

Imagination

En réalité, les problèmes de la sidérurgie n'appellent pas des solutions économiques, mais des solutions sociales et politiques. Sociales, parce que personne ne peut se désintéresser du sort de plusieurs dizaines de milliers de salariés. Politiques, parce que les contraintes de la division internationale du travail que subit de plein fouet cette industrie rendent urgente une véritable stratégie de redéploiement industriel.