Journal de l'année Édition 1976 1976Éd. 1976

Synthèse

L'année de la fragilité

Ces douze mois de 1975-76 dans les affaires françaises, on pourrait les raconter de plusieurs façons fort différentes et même opposées. De deux façons, en particulier.
Si l'on ne s'en tient qu'à l'apparence, l'année paraît faite d'une poussière d'événements disparates, de querelles successives, de préparatifs et de manœuvres en tous sens. Pas de lien entre ces épisodes, pas de drame ni de réussite spectaculaires, pas de grands changements. Bref une année grise, une année pour rien, un entracte presque.

Et pourtant les historiens dateront peut-être du début de 1976 les premiers signes d'un bouleversement, ils verront peut-être dans ces mois l'un de ces moments charnières où le destin bascule, où les grandes mutations qui vont suivre s'amorcent et s'engagent inéluctablement. Ah ! qu'il est donc difficile d'écrire l'histoire en train de se faire et comme il semble aisé au contraire de l'interpréter avec le recul du temps ! ...

Entracte sans importance ou amorce d'un grand tournant, selon ce que sera l'avenir à court ou à moyen terme, cette année mérite en tout cas d'être scrutée avec attention, afin de lui arracher quelques-uns de ses secrets.

En un an, les forces respectives de la majorité et de l'opposition d'une part, celles des principaux partis qui composent ces deux coalitions d'autre part, ont notablement évolué. Par-delà les péripéties de la vie publique, les résultats électoraux et les sondages ont dit fort clairement que la majorité présidentielle de V. Giscard d'Estaing s'est d'une part divisée, voire déchirée, et qu'elle a d'autre part reculé et qu'elle est tombée, sur le papier tout au moins, légèrement en dessous de la barre des 50 %. Et cela à un an des élections municipales de 1977, à deux ans surtout des élections législatives, le grand rendez-vous du régime, prévues pour mars 1978, à moins qu'elles ne soient d'ici là avancées.

Les mêmes péripéties, les mêmes résultats, les mêmes sondages montrent aussi clairement que le parti socialiste a accru son autorité et son audience, prenant un croissant avantage sur son allié communiste à l'intérieur du camp de la gauche, un camp devenu sur le papier majoritaire.

Enfin, le troisième élément d'ordre purement politique qui a marqué l'année, c'est la très rapide transformation du ton, du vocabulaire et même du visage du parti communiste français. Le PCF a-t-il vraiment changé ? S'agit-il d'une simple opération tactique ? Si les avis diffèrent à cet égard, nul ne conteste l'apparition d'une nouvelle image de marque du communisme en France.

Ainsi trois facteurs essentiels de la vie politique nationale (l'avantage de la majorité sur l'opposition, la primauté des communistes sur leurs alliés socialistes, l'immobilisme doctrinal du PC) ont paru tour à tour mis en question. D'où d'ardents débats sur les institutions, sur le programme de la gauche, sur la stratégie des uns et des autres et sur leurs chances de conserver ou de conquérir le pouvoir. Ces débats ont accompagné et souvent pris en compte maints épisodes très divers, des revendications aux réformes, des manifestations catégorielles aux actions violentes.

Après avoir rappelé les étapes principales de l'évolution de la majorité, du PCF et de la gauche entière, on tentera donc un inventaire de ces événements où, il faut le reconnaître, de larges zones d'ombre alternent avec quelques taches de lumière.

Le nouveau style à l'épreuve

Pour le président de la République, son gouvernement et sa majorité, 1975-76 n'a pas été une bonne année.

V. Giscard d'Estaing a subi l'usure normale du pouvoir. L'allure et le style qu'il avait voulu donner à la fonction présidentielle ont cessé d'étonner et ont même suscité à l'occasion quelque agacement. Tout ce qui avait surpris au début du septennat, parfois agréablement, par contraste avec la raideur ou la lourdeur de ses prédécesseurs, l'attitude décontractée, l'attention à l'égard des plus défavorisés, le désir de rester à l'écoute des simples citoyens, d'alléger le protocole, de renverser les barrières, tout cela a cessé d'être remarqué, commenté et bientôt apprécié. En même temps, nombre d'initiatives prises aussi bien en matière diplomatique que politique, la recherche d'un type d'intervention, d'un mode d'action nouveaux, plus modernes, plus dynamiques, ont bientôt rencontré le scepticisme, puis suscité la déception et la critique. « Gadgets » et « foucades », a-t-on entendu dire de plus en plus souvent, et même parmi ceux qui avaient voté pour le faire entrer à l'Élysée, qui avaient investi quelque espoir dans son entreprise.