Journal de l'année Édition 1976 1976Éd. 1976

Rien de plus naturel : comment serait-il possible de satisfaire un électorat aussi divers, aux tendances et aux aspirations aussi différentes, voire divergentes ? Mais il y a plus sérieux. Élu par une majorité à dominante conservatrice, plutôt rebelle aux réformes, le président de la République avait néanmoins, pendant sa campagne électorale, pris l'engagement de réaliser un certain nombre de grandes transformations. Pourquoi ces promesses et pourquoi les tenir ? Tout simplement parce que V. Giscard d'Estaing, même s'il a déçu, peut-être provisoirement, une partie de ses électeurs, est à peu près assuré de conserver l'appui des modérés, qui ne se rallieront certainement pas en masse au camp de la gauche ; mais, disposant d'une très faible avance, d'environ 400 000 voix, il ne peut espérer regagner des suffrages qu'au centre et au centre gauche, chez ceux qui précisément font de la réalisation des réformes la pierre de touche de leur choix.

Or il a bien fallu, après deux ans d'études, de commissions, de consultations, de préparatifs, passer aux actes, d'autant que les échéances électorales se rapprochaient. Ce furent tour à tour la réforme foncière, présentée au Parlement par Robert Galley ; l'étude de la réforme de l'entreprise, menée par une commission présidée par Pierre Sudreau et confiée ensuite, au stade du projet, à Michel Durafour ; l'imposition des plus-values, préparée à l'Elysée même par les conseillers du président et défendue au Palais-Bourbon par Jean-Pierre Fourcade. Le premier projet, en partie démantelé au cours de discussions acharnées, devait finalement aboutir à un aménagement de la législation foncière moins ambitieux que ne l'espérait le chef de l'État, mais néanmoins assez important. Le second, la réforme de l'entreprise, allait d'ajournement en remise en chantier à cause des protestations qu'il suscitait tant du côté patronal que chez les syndicalistes. Quant au troisième, les plus-values, sa discussion par les députés suscita à la Pentecôte une véritable crise au sein de la majorité, faisant éclater au grand jour le conflit latent entre l'UDR d'une part, ses alliés républicains indépendants et réformateurs d'autre part.

Une gestion plutôt heureuse

Ainsi, pris entre une majorité parlementaire profondément divisée et une majorité présidentielle fragile et très diverse, face à une opposition qui se sentait le vent en poupe et devenait de plus en plus incisive, Valéry Giscard d'Estaing est-il entré au printemps de 1976 dans une période difficile.

La querelle des réformes en venait presque à faire oublier que, sur le plan de la gestion quotidienne, le pouvoir avait remporté d'incontestables succès. Démentant les prévisions apocalyptiques de ses adversaires et les sombres pronostics des experts, il avait réussi à inverser la tendance sur le marché de l'emploi, et le nombre des chômeurs, qui avait franchi à l'automne 1975 la barre d'un million de demandeurs d'emploi, était revenu au printemps 1976 un peu en dessous de cette limite psychologiquement et socialement dangereuse. Si la reprise du commerce extérieur et celle de la production demeuraient en partie factices, du moins la crise avait-elle nettement reculé. L'inflation, maintenue en dessous du rythme de 10 % l'an, restait certes préoccupante, mais paraissait au moins stabilisée.

Bref, la reprise, sans être, et il s'en faut, tout à fait assurée, semblait en bonne voie, et la France pouvait, tous comptes faits, estimer qu'elle avait moins souffert de la crise que plusieurs de ses partenaires européens. Cependant, lorsque le président de la République se prévalait de ces éléments positifs de son bilan, fin mai, dans une allocution télévisée, ses propos passaient presque inaperçus.

Diplomatie et stratégie

Les interventions et les voyages présidentiels, nombreux, en province et surtout à l'étranger avaient connu, il faut bien le dire, des fortunes diverses. L'annonce faite à Dijon le 24 novembre 1975 de la réalisation de la liaison Rhin-Rhône au cours des VIIe et VIIIe Plans était bien accueillie, la réception de l'Alsace fin mars était chaleureuse, celle du Pays basque en avril cordiale. En revanche, quand, le 4 décembre 1975, V. Giscard d'Estaing avait renvoyé à 1980 une nouvelle étape de la régionalisation et déclaré que la France serait « gouvernée au centre », il avait recueilli quelques sarcasmes et des critiques. Le succès de la visite faite à l'Algérie était bien oublié six mois plus tard, et les relations se détérioraient à nouveau entre Paris et Alger. La présence du chef de l'État à Madrid pour l'intronisation du roi Juan Carlos le 27 novembre 1975, sa visite en Égypte le mois suivant et une nouvelle rencontre avec le président Sadate à Paris en avril 1976 étaient diversement appréciées. Le voyage présidentiel de mai aux États-Unis, en dépit des efforts faits du côté français pour lui donner de l'éclat et de l'importance, n'entamait pas l'indifférence américaine à l'égard de notre pays ; la visite d'État faite en Grande-Bretagne le mois suivant était plus chaleureuse et plus concrètement utile.