De toute évidence, la défense est, pour V. Giscard d'Estaing, un domaine où l'esprit de continuité l'emporte, pour l'instant, sur la volonté de changement.

Le marché du siècle

En 1974, les commandes d'armements reçues par la France de l'étranger se sont élevées à environ 19 500 millions de francs, soit un doublement du montant enregistré l'année précédente. Mais la moitié de cette somme représente des commandes de matériels aéronautiques (avions de combat, hélicoptères et missiles de tous les modèles). Les clients principaux sont des pays européens ou des États du Proche-Orient, en particulier depuis la décision du Conseil des ministres du 28 août 1974 de lever l'embargo à destination des pays dits du champ de bataille : Égypte, Israël, Syrie et Jordanie. L'Égypte acquiert 44 avions de combat Mirage F-1 et 42 hélicoptères Gazelle. La Libye achète 38 Mirage F-1. Conçu par le groupe privé Dassault-Breguet et par la SNECMA, le monoréacteur Mirage F-1 M53 est en compétition avec un avion américain (le YF-16 de General Dynamics) et un avion suédois (le Viggen Eurofighter de Saab-Scania), pour remplacer le F-104 Starfighter aux Pays-Bas, en Belgique, au Danemark et en Norvège. Ce marché, qu'on a baptisé le marché du siècle en raison de son importance politique, est évalué, dans un premier temps, à 18 milliards de francs, soit 350 exemplaires. La France fait savoir à ses clients éventuels, qui se sont groupés en un consortium pour tenter d'acheter en commun le même appareil, qu'elle considère le remplacement du F-104 Starfighter comme un test de la volonté européenne de ses quatre partenaires et elle propose, à cette occasion, que l'achat des Mirage F-1 soit le point de départ de la création, en Europe, d'une construction aéronautique intégrée, à des fins civiles et militaires. Dans une lettre adressée au chef de l'État et signée comme député (réformateur) de Paris et ancien chef d'état-major de l'armée de l'air, le général d'armée aérienne Paul Stehlin attire l'attention de Valéry Giscard d'Estaing sur l'écart technologique (en faveur des avions américains) qui sépare, selon lui, le Mirage F-1 M53 des appareils conçus par General Dynamics ou Northrop. Dès sa révélation par Le Figaro, en novembre 1974, l'argumentation du général Stehlin est vivement critiquée par les milieux politiques et industriels en France, qui accusent le député de Paris de faire de la propagande pour les thèses atlantistes. Le Conseil des ministres du 13 novembre 1974 décide la mise à la retraite du général Stehlin (cadre de réserve), tandis que le député réformateur donne sa démission de ses fonctions de vice-président de l'Assemblée nationale et quitte le groupe des députés réformateurs. Et l'ancien chef d'état-major saisit le Conseil d'État. Le général Stehlin décède le 21 juin 1975. Il avait été victime d'un très grave accident de la circulation, à Paris, le 6 juin. Coïncidence : ce jour-là, il était accusé par une sous-commission du Sénat américain d'être, depuis 1964, à raison de 7 000 dollars par an, un conseiller appointé, aux États-Unis, par la société Northrop. Enfin, alors que le Salon aéronautique s'achève au Bourget, les clients du marché du siècle annoncent qu'ils ont choisi le YF-16 américain de préférence au Mirage F-1 M 53.

Nucléaire

Sur quelques points, le chef de l'État donne l'impression de se préparer à infléchir, un jour, la doctrine établie. L'un de ces points concerne l'armement nucléaire. La force nucléaire est maintenue et les thèses proatlantiques sont écartées. Après un dernier tir aérien, le 15 septembre 1974 à Mururoa (la 60e explosion depuis les expériences du Sahara de 1960), la France a désormais l'assurance de pouvoir disposer à terme (durant la prochaine décennie) d'une troisième génération d'armes stratégiques : des missiles à plusieurs têtes thermonucléaires, capables de résister à l'action de missiles antimissiles adverses.

Mais, dans le même temps, le chef de l'État décide d'interrompre la construction, en haute Provence, de neuf silos supplémentaires pour des missiles stratégiques sol-sol balistiques. Le président de la République donne la priorité aux sous-marins nucléaires lance-engins et autorise la construction à Cherbourg d'un sixième exemplaire.