Plus grave encore, la concurrence des importations devient de plus en plus forte. Avec un marché mondial très fortement acheteur en 1973, les prix à l'importation se rapprochent des prix intérieurs. Dès les premiers mois de 1974, les Américains et les Japonais, frappés avant nous par la crise économique, vont déstocker très brutalement, et, dans un marché international qui se contracte, ils se mettent à brader. Conséquence : les prix à l'importation baissent de 30 à 40 %, accentuant encore davantage le début du marasme dans lequel s'enfonce l'industrie textile française. En même temps, un marché d'exportation aussi important que l'Allemagne fédérale donne de nets signes de faiblesse.

Précarité

La crise va frapper brutalement à la rentrée : c'est l'époque des premières réductions d'horaires, non pas nécessairement parce que la demande a exagérément fléchi, mais à cause de l'excès de stocks constitués au cours des mois précédents.

Depuis, la situation ne fait qu'empirer. Au total, sur l'année 1974, tandis que la consommation augmente de 2,5 % (en volume), la production textile baisse de 4,2 %, plus fortement dans la laine (6 %) que dans le coton (1,2 %). Les livraisons baissent encore plus rapidement que la production. Résultat : une forte augmentation des stocks, un quart des effectifs mis en chômage partiel, des frais financiers accrus, bref une situation économique et sociale précaire au terme d'une année au cours de laquelle la demande finale (du moins la demande intérieure) évolue tout à fait normalement. Autre conclusion : l'accroissement de la demande ne profite en définitive qu'aux importations, en particulier celles qui proviennent des pays en voie de développement (Grèce, Turquie pour les filés de coton, pays asiatiques pour les tissus et la bonneterie de laine).

Un nouveau concurrent est apparu récemment : les États-Unis. Avec un dollar qui varie autour de 4 francs, un coût de main-d'œuvre (exprimé en francs) désormais inférieur à celui de l'Allemagne, de la Suisse et de la Suède et une politique commerciale agressive, les États-Unis nous vendent désormais des tissus polyester-coton aux prix de T'aï-wan, soit à un niveau inférieur de 30 % aux prix français. Décidément, dans ce métier, aucune situation n'est jamais acquise.

Faillites

Cette année 1975 ne se terminera pas sans graves secousses dans le textile. À la fin du premier trimestre, le niveau d'activité est en baisse de 15 % dans la laine, de 25 % dans le coton, de 40 % dans le synthétique par rapport à la période correspondante de 1974. Les stocks restent considérables, les trésoreries fondent et la demande finale donne des signes de faiblesse. Toute relance (reprise en Allemagne, par exemple) n'aurait pas d'effet immédiat sur la production et l'emploi. 1975 sera en toute hypothèse une mauvaise année.

Dans ces conditions, des têtes tombent. Blin et Blin, vieux cardeur de laine de Rouen, dépose son bilan, suivi par Thiberghien, respectable lainier du Nord. Fait significatif : La Lainière de Roubaix ne juge pas bon d'intervenir. C'est qu'elle est elle-même en difficulté. Ailleurs, dans la confection, on réussit à limiter les dégâts sur Big Chief (vêtements féminins) et Balsan (tapis et vêtements de travail), tous deux mis en règlement judiciaire puis rachetés par le mini-Willot Maurice Bidermann, beaucoup d'audace mais faible surface financière.

La grosse épine au pied du gouvernement reste le groupe Boussac. Pour enrayer un flirt avec le Britannique Courtaulds, en décembre 1974, le ministre de l'Industrie réussit à convaincre Jean Prouvost (principal actionnaire de La Lainière de Roubaix) de prêter Claude-Alain Sarre, P-DG de ladite Lainière, pour prendre la direction de la principale entreprise du groupe Boussac (et en préparer la restructuration). On pense que le vieux roi du coton a enfin rendu les armes. Erreur ! En mars 1975, un échange de lettres incendiaires indique que le torchon a déjà brûlé entre C.-A. Sarre et les deux autres membres du directoire, Jean-Claude Boussac (neveu de Marcel) et Serge Morard. Le 9 mai, Jean-Claude Boussac est nommé officiellement président du directoire. Une fois de plus, Marcel Boussac a sauvé son empire en ruine des attaques des banques, des technocrates et autres pillards. Pour combien de temps ?

Distribution

Une relative euphorie

Le commerce de détail a moins souffert, en dépit de la récession économique, de l'inflation mal maîtrisée que les secteurs industriels situés en amont de son activité. Le volume des affaires commence à stagner à partir de la mi-novembre 1974, mais la hausse des prix aidant, le chiffre d'affaires continue à croître. Les restrictions de crédit (surtout à court terme) gênent moins les commerçants que les industriels, dans la mesure où leurs clients, les consommateurs, paient toujours comptant leurs achats. Les détaillants bénéficient ainsi d'un volant de trésorerie que leur envient les industriels, même si leurs fournisseurs demandent d'accélérer le règlement des factures en souffrance. Enfin, le phénomène du déstockage (absence de commandes nouvelles pour un industriel, car son client, lui-même industriel, épuise ses stocks pour reconstituer sa trésorerie) ne touche pas le commerce. Les commissions départementales d'aide aux entreprises bien gérées, mises en difficulté par l'encadrement du crédit, ont reçu peu de dossiers émanant de détaillants.

Euphorie

La rentrée de septembre a été fort bénéfique pour le commerce de détail, qui a réalisé des chiffres d'affaires record : la clientèle, craignant de fortes hausses de prix, a beaucoup acheté ; cette attitude n'est pas encore freinée par la crainte du chômage.