– La situation est beaucoup moins claire concernant le « prix d'accès au brut ». Toutes sortes de calculs et de raisonnements sont avancés par les compagnies, mais la commission d'enquête ne les estime pas convaincants. De fait, c'est le cœur même de la comptabilité transnationale des compagnies qu'il faudrait pouvoir sonder, et même le Sénat américain n'y est jamais parvenu. Au reste, les données de ces prix évoluent tous les trimestres, sinon tous les jours, depuis l'ouverture de la crise pétrolière...

– Enfin, les compagnies peuvent objecter qu'elles ont toujours satisfait aux directives de l'Administration, en l'occurrence la direction des carburants au ministère de l'Industrie. Sur ce point, le rapport Schvartz soulève la question de la qualité de ce contrôle, et suggère qu'une collusion a pu finir par s'établir entre compagnies contrôlées et fonctionnaires contrôleurs (les personnes étant parfois interchangeables). Pour l'opposition, il n'y a pas le moindre doute sur la complicité de « l'État et du capital ».

Révision

Le rapport Schvartz aura eu au moins ce mérite de démontrer que le complexe édifice juridique dans lequel la France a enserré les compagnies pétrolières est désormais périmé, et doit être sérieusement révisé. À l'époque de la toute-puissance des pétroliers internationaux, l'objectif de l'État a été d'assurer la sécurité d'approvisionnement, l'édification d'une industrie du raffinage en France, la compétitivité des compagnies françaises. Maintenant que l'essentiel du pouvoir est revenu aux pays producteurs, les pétroliers redeviennent des entreprises comme les autres. Déjà les États-Unis ont décidé de réduire chez eux la provision pour reconstitution de gisement ; en France, le ministre des Finances, Jean-Pierre Fourcade, s'est engagé à réexaminer la fiscalité pétrolière pour le 1er juin 1975 ; engagement qui n'a pas été tenu.

Le grand débat nucléaire

La décision prise le 6 mars 1974 (Journal de l'année 1973-74) par le gouvernement Messmer d'accélérer brusquement, en riposte aux menaces des producteurs de pétrole, le programme français de centrales électronucléaires ouvre dans le pays un vaste et complexe débat.

Les préoccupations réservées naguère à un cercle étroit de chercheurs, d'ingénieurs et d'économistes sont mises sur la place publique. Le Parlement, les partis, les syndicats, les collectivités locales, la presse, toutes sortes de groupements se penchent sur les multiples aspects de ces projets, échangent des volées d'arguments où le meilleur (inquiétude pour les générations à venir, choix du modèle de société) côtoie parfois le pire (ignorance, passion et démagogie). Le plus important effort d'équipement que la France ait jamais entrepris donne lieu, à partir de 1975, à une prise de conscience approfondie de problèmes très nouveaux, auxquels la réponse est loin d'être toujours évidente.

Les décisions de mars 1974 portaient sur la mise en chantier de six tranches de 1 000 MW en 1974, et de sept en 1975. (Une tranche est l'ensemble productif constitué par un réacteur atomique, une turbine et un alternateur ; une centrale regroupe plusieurs tranches, quatre par exemple. À titre de comparaison, la puissance d'une centrale de 4 000 MW représente dix fois celle du barrage de Génissiat.) Le 1er février 1975, un conseil de planification présidé par Valéry Giscard d'Estaing reconduit cet effort pour deux ans, décidant d'engager 12 000 MW en 1976 et 1977 (les tranches unitaires pouvant atteindre 1 350 MW). Les arguments économiques en faveur de ces décisions sont très forts. Avec la hausse du prix du pétrole, l'énergie atomique est désormais le meilleur marché, et de loin : selon des calculs d'EDF, le kWh produit dans des centrales à fuel revient à 8 centimes, et à 3,85 centimes dans les centrales nucléaires.

En outre, nous allégeons ainsi notre dépendance à l'égard des fournisseurs de pétrole. Le Conseil de planification prévoit que l'atome assurera en 1985 le quart des besoins d'énergie du pays, tandis que la part du pétrole sera ramenée de 66 % actuellement à 40 %.