Journal de l'année Édition 1975 1975Éd. 1975

À la fois pris de court par un événement imprévu et soucieux de tirer tout le parti possible de la cure d'austérité, le gouvernement ne réagit donc pas rapidement. Il accélère seulement, au début de 1975, les commandes de l'État. En avril, il prend quelques mesures sociales en faveur des catégories les plus défavorisées (notamment les familles, les vieux et les paysans).

Ce n'est qu'en mai qu'il lance un premier train de mesures de relance, portant essentiellement sur les investissements : accroissement des commandes du secteur public ; octroi de prêts à taux d'intérêts bonifiés aux entreprises ; ristourne fiscale de 10 % sur les commandes de certains équipements qui seront passées avant la fin de l'année. Au total, une dizaine de milliards de francs. Fin mai, de nouvelles mesures sont prises en vue d'enrayer le chômage des jeunes : versement d'une prime de 500 francs par mois (pendant six mois) pour chaque emploi créé dans les entreprises avant la fin de l'année ; possibilité pour les entreprises de passer des contrats emploi-formation, qui aboutissent à faire payer par l'État la formation des jeunes dans les entreprises ; création de nouveaux emplois dans le secteur public.

Redéploiement

L'ensemble de ces mesures s'analyse comme un transfert de fonds des caisses de l'État vers les caisses des entreprises. C'est-à-dire que le gouvernement opère le mouvement exactement inverse de celui de l'été 1974, où le plan de lutte contre l'inflation avait été fondé sur un transfert de fonds, des caisses des entreprises vers les caisses de l'État. En revanche, jusqu'aux vacances de 1975, le gouvernement se refuse à prendre des mesures de relance de l'activité par la consommation.

Mais aucune des mesures prises ne peut avoir des effets rapides. C'est pourquoi le gouvernement doit, périodiquement, réviser en baisse ses prévisions sur la croissance de l'économie française en 1975. Après avoir annoncé 4 %, puis 3 %, il en est, au début de l'été, à 2 %, tandis que ses propres experts s'attendent à une croissance nulle, voire peut-être négative. Jamais depuis la guerre la croissance n'était tombée à + 2 % en France.

C'est dans cette ambiance maussade que la préparation du VIIe Plan (1976-1980) est mise en route à partir du printemps. Le gouvernement ne fixe pas de taux de croissance. Il retient seulement deux hypothèses de travail : l'une optimiste, avec une croissance de 5,1 % par an de 1973 à 1980 ; l'autre pessimiste, avec une croissance de 3,9 % par an. Dans le premier cas, le chômage toucherait encore 600 000 personnes en 1980 ; dans le second cas, il dépasserait largement 1 million de personnes.

En effet, même si la croissance redémarre en 1976, comme la plupart des experts le prévoient, le problème de l'emploi ne sera pas rapidement résolu. Cela tient au fait qu'il y a deux catégories de chômeurs : ceux que l'on pourrait appeler les chômeurs de l'inflation, qui sont les victimes des mesures conjoncturelles de lutte contre la hausse des prix ; et ceux que l'on pourrait appeler les chômeurs du pétrole, c'est-à-dire les gens qui doivent changer d'emploi parce que les structures de la production sont elles-mêmes en train de changer (réduction relative de l'industrie automobile, par exemple). Une meilleure conjoncture permettrait de réduire la première catégorie de chômeurs, mais elle ne changera rien à la deuxième catégorie.

Toutes les économies occidentales se trouvent confrontées à ce que l'on appelle le redéploiement industriel, c'est-à-dire à une révision des structures de la production. L'adaptation des hommes à ces nouvelles structures, nées non seulement de la crise du pétrole, mais aussi de l'évolution dans les goûts des consommateurs et dans les comportements des travailleurs (qui n'acceptent plus certaines tâches), cette adaptation ne peut pas se faire rapidement ni aisément. Entre-temps, les problèmes de l'emploi, que l'on avait beaucoup négligés depuis la guerre parce que l'expansion rapide noyait tout, se réinstallent, pour plusieurs années, au premier rang des préoccupations des gouvernements et des opinions publiques.

Il n'y a donc pas une seule crise, mais deux qui se chevauchent : une crise conjoncturelle que l'Occident surmontera peut-être dans les prochains mois, et une crise structurelle qui exigera plusieurs années pour être résolue.