Matières premières

La chute des cours dans un désordre croissant

Le second semestre 1974 et les six premiers mois de 1975 feront date dans les annales mondiales des matières premières, comme l'avaient fait le second semestre 1973 et les six premiers mois de 1974, mais pour des raisons inverses.

– À une flambée des cours sans précédent succède une baisse, également sans précédent, liée à une récession (la plus violente depuis quarante ans), et ceci à l'échelle de la planète.

– Les cartels créés par les pays producteurs depuis la guerre du Kippour sont fortement mis à l'épreuve par l'abondance régnant sur les marchés de matières premières, les consommateurs réagissant plus fortement que prévu à la très forte augmentation des prix. Parallèlement, la persistance de l'inflation incite ces mêmes producteurs à relever leurs prix, surtout s'ils sont exprimés en dollars ou en livres sterling dont le pouvoir d'achat est amputé par une dévaluation continue.

– Le plus grand désordre règne sur les marchés, où les excès de la spéculation sont chèrement payés. Les stocks énormes constitués pendant le deuxième semestre 1973 et le premier semestre 1974, afin de se couvrir contre une éventuelle pénurie, deviennent tout d'un coup trop lourds à supporter : le développement rapide de la récession mondiale réduit très brutalement la consommation, tandis que les restrictions de crédit et la tension des taux d'intérêt accélèrent un déstockage très naturellement amorcé dès les premiers signes de ralentissement apparus au cours de l'été 1974. Mais ce déstockage, malgré son ampleur, est compensé, et au-delà, par la diminution des besoins et la nécessité où se trouvent les producteurs de maintenir leurs ventes afin de pouvoir subsister. Il existe donc, dans les dépôts et magasins, un volant de plus en plus important, dont le poids compromet toute possibilité d'amélioration à brève échéance.

Anticipation

C'est un phénomène bien connu, le comportement impulsif et moutonnier des agents économiques amplifie les mouvements au-delà de toute mesure... et de toute prévision. En période de hausse, les utilisateurs se hâtent d'acheter, redoutant de devoir payer cher ultérieurement. Non contents de couvrir leurs besoins réels, ils se risquent même à jouer la tendance en forçant un peu sur leurs acquisitions. En période de baisse, c'est l'inverse. Tout le monde reste l'arme au pied, attendant un nouveau recul des cours, jusqu'au moment où l'on pense que le fond est atteint : dans le marasme actuel, cette attente risque de durer longtemps.

Aberrant

Si l'évolution des cours de certains produits directement liés à l'activité industrielle, comme les métaux non ferreux, apparaît logique, celle des cours des produits agricoles apparaît foncièrement aberrante et même carrément absurde. Que le prix du cuivre s'effondre est aisément explicable, en raison de l'abondance des stocks. Mais que celui des céréales baisse sensiblement, en dépit d'un amenuisement des réserves, donne à réfléchir. Ne parlons pas du sucre, dont le cours a presque sextuplé d'octobre 1973 à novembre 1974, dans une atmosphère de folle spéculation, pour s'effondrer dès la fin de 1974 et rester fort déprimé au seuil de l'été 1975.

Régulation

Devant un tel désordre et une telle anarchie, si nuisibles à la fois aux consommateurs et aux producteurs, de bons esprits ont réaffirmé, à temps et à contretemps, la nécessité absolue de mettre sur pied des mécanismes régulateurs, comme celui qui s'applique à l'étain, par exemple. Mais la pièce essentielle de tels mécanismes est toujours et avant tout un organisme de stockage susceptible de pomper les excédents en cas de surproduction et d'alimenter le marché en cas de pénurie. La clef de voûte et, naturellement, la pièce d'achoppement en est le financement : c'est par milliards de dollars que se traduiraient les débours pour des interventions efficaces. Or les producteurs n'ont guère de ressources, les consommateurs se montrent des plus réticents, et les pétroliers arabes, auxquels tout le monde pensent immédiatement, montrent fort peu d'enthousiasme, tout occupés qu'ils sont à maintenir leur pouvoir d'achat au niveau élevé récemment atteint.

Situation critique

En l'absence de toute solution, certains pays en voie de développement dont les exportations constituent le plus clair des ressources (on peut penser au Chili, à la Zambie pour le cuivre) souffrent cruellement, en dépit d'efforts désespérés pour redresser leur situation. Sans doute, leur est-il permis d'espérer une amélioration, en liaison avec la reprise prévisible de l'économie mondiale. Mais le problème reste posé à moyen terme, et l'attitude des États-Unis, plus gros consommateurs de la planète et partisans décidés du libre jeu de l'offre et de la demande, n'est pas faite pour le résoudre. Nul doute que les effets des producteurs coalisés tendront, dans les prochains mois, à obtenir quelques garanties, du genre de celles qui ont été données par les États de la Communauté européenne à leurs associés africains dans l'accord signé à Lomé le 28 février 1972 et dont le retentissement a été grand.