Journal de l'année Édition 1975 1975Éd. 1975

Conjoncture économique

Quinze millions de chômeurs

Quinze millions de chômeurs ; un travailleur sur 20 sans emploi, dans l'ensemble des pays industrialisés de l'Ouest. On n'a jamais vu cela depuis la guerre. C'est pourtant la situation au printemps 1975, après neuf mois de chute vertigineuse de la production dans tous les pays sans exception. De la même façon que 1973-74 avait été l'année de l'inflation généralisée, 1974-75 est l'année du chômage généralisé.

Dans le seul Marché commun, le chômage a progressé des deux tiers entre mai 1974 et mai 1975, pour atteindre à cette date 4,3 millions de travailleurs : 12 salariés sur 100 sont touchés au Danemark, 8 sur 100 en Irlande, 6 sur 100 en Belgique et en Italie, 4 à 5 sur 100 aux Pays-Bas, en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne. C'est pire aux États-Unis où, à la même date, le chômage frappe 8,5 millions de personnes, soit plus de 9 travailleurs sur 100, ce qui ne s'était jamais vu depuis 1941, c'est-à-dire avant l'entrée en guerre des États-Unis.

Recul

Partout dans le monde occidental, la frontière du plein-emploi (que l'économiste anglais lord Beveridge, inventeur des systèmes de sécurité sociale, fixait à 3 % de chômeurs) est enfoncée. Cela ne s'était produit qu'à trois reprises, et de peu, depuis la guerre : en 1953, 1958 et 1971.

Le même phénomène se traduit dans les chiffres de production. Pratiquement jamais, dans aucun pays depuis la guerre, la production d'une année n'avait été inférieure à celle de l'année précédente. Quand on parlait de « récession économique », cela voulait dire que la croissance n'avait été que de 2 ou 3 % ; mais c'était tout de même une croissance. Or, en 1974, la production globale a diminué aux États-Unis (– 2,2 %), au Japon (– 1,8 %) et en Grande-Bretagne (– 0,4 %). Pour l'ensemble du Marché commun, la croissance n'a été, en 1974, que de 2 % contre 5 % en moyenne durant toute la période 1960-1973. Encore l'année 1974 n'a-t-elle été, dans la plupart des pays, qu'à moitié mauvaise : bonne durant tout le premier semestre, elle ne s'est vraiment dégradée qu'au second semestre.

En revanche, l'année 1975 a été catastrophique au premier semestre. Partout. Aux États-Unis, la chute de la production a atteint 10 % pour le premier trimestre, ce qui veut dire qu'à ce moment-là le niveau de la production américaine était inférieur à celui de 1958. On n'avait jamais vu cela depuis la crise des années 30. Un phénomène comparable, sinon toujours de même ampleur, s'observait partout en Occident, et l'OCDE prévoyait au printemps une chute globale de la production de 1,5 % pour l'ensemble de l'année 1975 comparée à 1974, le recul devant atteindre 3 % aux États-Unis.

Certes, cette crise n'est pas vraiment une surprise. Après le choc de la crise pétrolière, fin 1973, et l'envolée générale des prix, dont la hausse avait partout dépassé 10 % (sauf en Allemagne) durant l'année 1973-74, on attendait une réaction sur l'activité. Mais personne ne l'avait prévue aussi brutale et aussi longue. Interrogé par un journal autrichien en juin 1975, le chancelier allemand Helmut Schmidt déclare : « Tous les chercheurs économiques d'Europe et du monde industrialisé occidental se sont trompés dans leurs prévisions. »

Austérité

Comparée à la crise des années 30, celle de 1974-75 apparaît toutefois encore relativement modérée. Au début des années 30, la production, aux États-Unis, avait reculé de moitié en deux ans. Et dans les pays les plus touchés par le chômage, celui-ci frappait non pas 5 à 10 % de la population, comme aujourd'hui, mais 25 % ! Les origines de la crise n'étaient d'ailleurs pas les mêmes. À l'époque, les prix et les revenus diminuaient alors qu'aujourd'hui ils augmentent. L'inflation n'était pas la cause de la crise des années 30, alors qu'elle est la principale raison de la crise actuelle. À cette raison de fond s'en ajoutent deux autres qui lui sont étroitement liées : la détérioration du système monétaire international depuis le début des années 70 et la crise du pétrole à la fin de 1973.