Journal de l'année Édition 1974 1974Éd. 1974

La Commission de Bruxelles, pendant toute cette période, a eu le sentiment de ne pas pouvoir embrayer sur les réalités. Elle a multiplié les mises en garde solennelles. Certains jours, elle a même été tentée de présenter une démission collective. Mais elle a vite compris que cela ne changerait rien. L'Europe doit d'abord retrouver son identité si elle veut avoir des institutions efficaces. Une telle identité ne se construit pas dans l'abstrait, mais face aux problèmes réels. Dans la mesure où ce ne fut pas le cas en 1973-74 pour des sujets aussi graves que l'approvisionnement en énergie du continent européen et la lutte contre l'inflation, on ne voit pas ce que les institutions de Bruxelles pouvaient faire de plus que d'enregistrer des divergences. Pour la même raison, la mode des sommets lancée par Georges Pompidou en 1969 a perdu beaucoup de ses attraits. Car, à quoi bon réunir des chefs d'État et de gouvernement, si c'est pour constater, purement et simplement, soit qu'ils ne sont pas d'accord, soit qu'ils sont totalement impuissants ?

Renégociation

Dans ces conditions, les élections anglaises de mars 1974, qui amènent Harold Wilson au pouvoir, vont avoir un effet négatif sur la vie de la Communauté. Le leader travailliste n'a pas de majorité au Parlement. Il gouverne avec un parti lui-même divisé sur les problèmes européens. Sa marge d'innovation est faible. Il choisit de taper sur la table à Bruxelles pour distraire son opinion publique. Et il demande solennellement une renégociation des conditions d'adhésion de son pays au traité de Rome. Il espère, ainsi, flatter une opinion publique qui n'avait jamais été favorable à l'adhésion et bloquer, en tout cas, tout nouveau développement de la Communauté qui l'aurait mis en porte à faux dans son propre parti.

La demande britannique concerne plusieurs questions importantes : la politique agricole commune, qui a pour effet, disent les Anglais, de renchérir les prix alimentaires en Grande-Bretagne (ce qui, en réalité, a cessé d'être vrai depuis la hausse des cours mondiaux : l'alimentation est devenue relativement moins chère en Europe) ; les avantages tarifaires accordés aux produits en provenance de l'extérieur de la Communauté, notamment de la Nouvelle-Zélande, de l'Australie, de l'Argentine et des États-Unis (ce qui met en cause le principe de la préférence communautaire) ; enfin, la contribution de la Grande-Bretagne au budget de la Communauté.

Ce dernier point est le plus solide dans le dossier britannique, bien qu'il concerne l'avenir et non pas le présent. Si l'évolution en cours se poursuivait, la Grande-Bretagne paierait, en effet, dans les années 1980, environ 26 % des charges du budget communautaire, alors que sa production ne représenterait que 17 % de la production des Neuf.

En réalité, au-delà des considérations de politique intérieure qui ont conduit H. Wilson à prendre cette attitude, il y a le fait que les Anglais ont été déçus par l'Europe. Ils espéraient que celle-ci les aiderait à sortir de leurs difficultés économiques et à retrouver une place significative dans la politique internationale. Or, tant en ce qui concerne les problèmes économiques que les problèmes politiques, la Communauté donne le spectacle du plus grand désarroi. Certes, on peut toujours dire aux Anglais qu'on comprend mal leur impatience, alors qu'ils ont eux-mêmes si longtemps attendu pour frapper à la porte de la Communauté. Mais la déception est réelle. Il ne semble pas, toutefois, que H. Wilson soit décidé à quitter le Marché commun. Lorsque, au mois de juin 1974, ses partenaires se contentent de demander à la Commission de faire le point de la situation, sans pour autant ouvrir de nouvelles négociations, il se satisfait d'une aussi mince réponse à ses exigences.

Régions

Seulement, l'attitude britannique suffit pour bloquer les mécanismes communautaires. Impossible, par exemple, d'avancer en matière de politique régionale, à partir du moment où les Anglais remettent en cause le financement de la Communauté. Car on ne sait plus qui paiera, ni en faveur de qui. Or, l'équilibre des recettes entre les pays membres doit tenir compte de l'équilibre des dépenses qui ne profitent pas également à tous : le fonds agricole profite surtout à la France et à l'Italie ; un éventuel fonds régional profiterait davantage à l'Angleterre.

Europe-USA

À l'arrière-plan de tous les problèmes, figure la question des relations avec les États-Unis. Le Nixon Round, souhaité par les Américains pour ouvrir davantage les portes de l'Europe à leurs produits, n'a pas véritablement commencé. Le président Nixon n'a pas encore obtenu du Congrès les pouvoirs qu'il a demandés pour négocier de nouveaux arrangements commerciaux. Mais la guerre du Proche-Orient a fait apparaître la puissance des États-Unis. Ceux-ci ne veulent pas qu'une trop grande indépendance de l'Europe vienne troubler le délicat équilibre qu'ils recherchent avec l'Union soviétique.