Journal de l'année Édition 1974 1974Éd. 1974

Marché commun

Période sombre pour l'unité des Neuf

C'est le président Nixon qui avait annoncé que 1973 serait « l'année de l'Europe ». Elle le fut, en effet, mais pas du tout au sens d'une année faste pour l'unification européenne ; ni même au sens où l'entendait sans doute le président des États-Unis, c'est-à-dire une année durant laquelle il aurait consacré l'essentiel de ses efforts à redéfinir les rapports entre le Nouveau et le Vieux Continent, après avoir réglé (pour son compte) le problème du Viêt-nam et fondé sur des bases nouvelles ses relations avec la Chine et l'Union soviétique.

En réalité, la période 1973-74 restera pour l'unité européenne l'une des plus sombres de sa courte histoire. L'Europe a été secouée simultanément par trois crises qui l'ont profondément ébranlée : la crise de l'énergie, la crise financière et une crise que l'on peut qualifier de politique, dans la mesure où elle a mis en cause les structures et l'identité même de la Communauté européenne.

Après avoir atteint son paroxysme au printemps 1974, quand l'Italie a ouvert une brèche dans l'union douanière et quand la Grande-Bretagne a remis en cause son appartenance même à la Communauté, cette triple crise s'est quelque peu relâchée au début de l'été 1974. À peine élu, Valéry Giscard d'Estaing recevait à Paris le nouveau chancelier allemand, Helmut Schmidt. Les deux hommes symbolisaient ainsi les retrouvailles entre la France et l'Allemagne ; ils donnaient l'espoir que, sur ces bases nouvelles, des initiatives pourraient être prises en faveur de l'Europe au cours des mois à venir. Peu de temps après, le président Nixon participait à Bruxelles à la ratification d'une déclaration atlantique qui, bien qu'anodine dans le fond, marquait une certaine détente dans les rapports entre l'Europe et les États-Unis.

Mais on ne saurait dire pour autant que la Communauté est sortie de ses difficultés.

Crise de l'énergie

C'est par la crise de l'énergie qu'il faut commencer, car elle a aggravé toutes les autres crises. Les institutions de la Communauté avaient, certes, alerté les pays membres dès le printemps 1973 sur les risques que comportait l'évolution des problèmes pétroliers. La Commission de Bruxelles, dans un document daté d'avril 1973, avait montré comment les décisions en matière de quantités produites et de prix du pétrole étaient en train de passer très rapidement des compagnies pétrolières aux gouvernements des pays producteurs. Le débat devait tourner court, car, dès ce moment, les intérêts des principaux pays de la Communauté étaient divergents.

Ce n'est pas par hasard que la Communauté a toujours été incapable de définir une politique commune de l'énergie, et cela malgré les décisions de principe prises à intervalles réguliers, au plus haut niveau.

Vulnérabilité

En gros, les pays membres peuvent se répartir en trois groupes : ceux qui ont encore d'abondantes ressources en charbon, comme l'Allemagne et, à un moindre degré, la Grande-Bretagne ; ceux qui ont fait d'importantes découvertes de gaz et de pétrole en mer du Nord, comme les Pays-Bas et surtout la Grande-Bretagne (laquelle peut espérer produire plus de pétrole qu'elle n'en aura besoin dans les années 1980) ; et, enfin, les autres pays, au premier rang desquels la France et l'Italie, dépourvus de ressources significatives en matière d'énergie classique et donc condamnés à accélérer la mise en œuvre de l'énergie nucléaire.

Les conséquences de la guerre du Kippour sur le comportement des pays arabes producteurs a mis en évidence, à l'automne 1973, l'extrême vulnérabilité de l'Europe. Alors que les États-Unis doivent acheter à l'étranger seulement 6 % de leurs besoins en pétrole, les Européens sont dépendants de l'extérieur pour 70 % de leur consommation. Ils n'ont pas, dans le golfe Persique, la position militaire et diplomatique de premier plan qu'ont les États-Unis ; enfin, leurs ressources financières et technologiques sont relativement limitées. Tout d'un coup, l'Europe a donc repris conscience de sa faiblesse par rapport aux vraies grandes puissances que sont l'Union soviétique et les États-Unis, lesquelles ont toutes deux, chez elles, des ressources en produits de base infiniment plus abondantes que celles du Vieux Continent.