Journal de l'année Édition 1974 1974Éd. 1974

Là encore, comme devant la crise pétrolière, la diversité des comportements a bien montré que l'Europe était loin de son unité. Avant même la crise pétrolière, l'Allemagne s'était engagée dans un programme vigoureux de lutte contre l'inflation. Les prix augmentent chez elle beaucoup moins vite qu'ailleurs ; elle continue, pendant toute cette période, d'engranger de fructueux excédents dans ses échanges extérieurs. Partout ailleurs, les gouvernements hésitent à prendre des mesures énergiques qui risqueraient de provoquer du chômage. Ils ne tiennent aucun compte de la résolution commune qu'ils avaient pourtant adoptée à la fin de 1972, et qui fixait comme objectif, pour l'année 1973, de ramener la hausse des prix au taux de 4 % !

Il n'y a rien d'étonnant, dans ces conditions, à ce que le serpent monétaire européen perde ses derniers participants. Après la livre sterling et la lire italienne, c'est le franc français qui, début 1974, renonce à la discipline commune. Le mark allemand se retrouve seul avec les monnaies de ses plus proches voisins, liés, pour le meilleur comme pour le pire, à l'économie allemande.

Là encore, on retrouve, d'un côté, les pays déficitaires, qui cherchent à colmater les brèches par n'importe quel moyen, et, d'un autre côté, un pays excédentaire, à savoir l'Allemagne, qui ne veut pas payer pour les erreurs de ses partenaires. Créer, dans de telles conditions, un organisme monétaire européen, qui secourrait les faibles avec l'argent des forts, signifierait, purement et simplement, que les Allemands consentent des sacrifices pour que les Anglais, les Italiens et les Français n'aient pas à en faire.

Impuissance

Il est vrai que ce n'est pas non plus l'intérêt de l'Allemagne de laisser ses principaux partenaires européens plonger dans la crise économique. Car ces pays sont aussi ses clients et elle ne tarderait pas à souffrir elle-même de leurs difficultés. Encore faut-il que tout le monde fasse des efforts. C'est à peu près ce qu'est venu dire Helmut Schmidt à V. Giscard d'Estaing, au lendemain de l'élection présidentielle en France. Le conseil a été entendu à Paris, puisque le plan Fourcade s'inspire très largement des mesures anti-inflation prises en Allemagne en 1973. De même que la crise pétrolière avait mis en évidence la carence de la Communauté en matière d'énergie, la crise financière révèle l'impuissance des Neuf à créer une véritable union économique et monétaire. Toutefois, en juin, l'Italie et la France obtiennent des grandes puissances, et notamment des États-Unis et de l'Allemagne, une possibilité de revaloriser, en cas de besoin, leurs stocks d'or pour faire face à leur endettement extérieur.

Protectionnisme

Mais, fait plus grave, l'union douanière elle-même se trouve remise en cause du fait de cette crise. Il ne s'agit plus de renoncer à de nouveaux projets européens. On va jusqu'à porter l'atteinte à l'un des deux piliers sur lesquels la Communauté a été construite, l'autre étant la politique agricole commune. C'est l'Italie qui porte le premier coup de pioche dans l'édifice, en annonçant, le 3 mai 1974, qu'elle institue une sorte de péage sur les importations en produits industriels et agricoles autres que les matières premières et les biens d'équipement, y compris pour les produits en provenance des autres pays du Marché commun. Cela ne s'était pratiquement encore jamais vu.

Le Danemark emboîte le pas le 9 mai, et annonce un relèvement des taxes intérieures sur des produits importés, autre façon de mettre en œuvre des mesures protectionnistes. Pour rassurer les Allemands, V. Giscard d'Estaing s'empresse, après son élection, de faire savoir que la France n'envisage nullement de recourir à de telles mesures pour rétablir son équilibre extérieur. Il n'empêche que n'importe quel pays de la Communauté pourra toujours se prévaloir de ces précédents pour effriter encore un peu plus l'une des deux colonnes du temple.

Quant à la politique agricole commune, elle survit assez mal dans un tel contexte. Le flottement des monnaies européennes entre elles complique jusqu'à l'absurde la mise en œuvre des prix agricoles communs. La fixation de nouveaux prix au printemps 1974 donne lieu à un compromis qui ne doit pas faire illusion. Pour sauvegarder les apparences, on a pratiquement fait plaisir à tout le monde : aux Allemands, on a accordé une hausse des prix des céréales, aux Français, une hausse des prix du lait et de la viande, et aux Anglais, on a accordé l'autorisation de ne pas appliquer ces augmentations ! Il s'agit donc bien, une fois de plus, de satisfaire une juxtaposition d'intérêts nationaux et non pas de prendre en compte un véritable intérêt communautaire.

Crise politique

De telles divergences entre les pays membres sur des problèmes vitaux devaient avoir des conséquences sur la vie des institutions européennes.